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orientaux ou Khalkas, qui sont séparés cependant de la Sibérie par les monts Saïan, ces Alpes de l’Asie septentrionale, qu’on met trente jours à franchir. Les Khalkas, qui hivernent autour du lac Kossogol, passent l’été dans les montagnes à faire paître leurs troupeaux et à poursuivre le gibier. Ils ont découvert des passes par lesquelles ils se rendent sur le versant nord de la chaîne, et redescendent dans le gouvernement d’Irkoutsk et jusqu’aux environs du Baïkal. Un commerce d’échanges s’est établi entre eux et les Cosaques : de petites foires se tiennent à des intervalles réguliers dans la montagne ; les affaires y sont débattues avec gravité et s’y traitent avec une probité rigide. Les paysans sibériens apportent des fourrures et les pierres précieuses qu’ils trouvent sur les bords des torrens, spécialement des lapis-lazuli, fort recherchés des Chinois. Les Khalkas leur fournissent en échange des étoffes de soie et de velours, unies ou brodées, du sucre, du thé et des porcelaines. Quelques jours sont consacrés à des réjouissances mutuelles, et chacun retourne dans son pays. La Russie a mis à profit ces relations pour étendre son influence parmi les Mongols, et il paraît que le gouverneur général de la Sibérie orientale, le général Mouravief, a réussi, l’année dernière, à amener toutes les tribus des Khalkas à se reconnaître vassales de la Russie. Les Khalkas orientaux, voisins des provinces les plus peuplées de la Chine, étaient assujettis à un tribut : la Russie a offert, moyennant un tribut beaucoup moins considérable, de les affranchir des exactions des autorités chinoises et de protéger leur territoire. Elle a fait appel à leur intérêt, mais elle a été surtout servie par leurs rancunes nationales. La tradition a conservé parmi les Khalkas le souvenir des exploits de leur race : dans leurs chants, dont le père Huc a fait connaître quelques fragmens, ils invoquent Tamerlan et lui demandent de venir se mettre encore une fois à leur tête. Ils se souviennent que sous Genghiz et sous Kublaï ils ont conquis la Chine et régné dans cet empire, dont ils sont aujourd’hui tributaires. Ils regardent comme des parvenus et comme des usurpateurs les Mandchoux, dont la puissance ne date que du XVIIe siècle, et dont ils sont séparés par la langue et par la religion. C’est donc une humiliation pour eux de voir la Chine au pouvoir d’une race inférieure, qu’ils détestent et qu’ils méprisent, et dont cependant ils ont eu à porter le joug pendant près d’un siècle. Si la Russie, par des promesses et par des pensions libéralement distribuées parmi les chefs, a obtenu l’allégeance des Khalkas, ainsi que des renseignemens affirmatifs l’annoncent, il ne lui sera pas difficile de les jeter sur la Chine, et elle trouvera parmi eux des auxiliaires empressés et formidables. On évalue en effet leur nombre à six cent mille familles, ou environ quatre millions d’âmes : le pays qu’ils occupent a une étendue à peu près égale à celle de la France.