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jusqu’au voyageur. À droite et à gauche s’étendaient des forêts de bouleaux et de peupliers, interrompues çà et là par des champs de seigle et de froment de la plus belle apparence. Voilà donc ce pays dont le nom seul est un épouvantail !

La Sibérie n’est tout entière qu’une plaine à peine entrecoupée de quelques collines, et à travers laquelle les grands fleuves qui descendent de l’Altaï se sont tracé des lits larges et profonds. Rien en Europe ne peut donner idée de la beauté de ces fleuves ni du volume de leurs eaux, surtout depuis le commencement de mai jusqu’à la fin de juillet, lorsque les neiges fondent dans la montagne. À cette époque de l’année, l’Irtisch, à peine à la moitié de son cours, et avant d’avoir reçu ses affluens les plus considérables, atteint déjà à une largeur de trois lieues. Une forêt ininterrompue couvre toute l’étendue du pays. De loin en loin, le steppe vient faire une trouée au milieu des bois ; mais dans la Sibérie méridionale le steppe lui-même n’a rien de cet aspect aride et désolé qu’il présente sur les bords de la Mer-Caspienne et de la mer d’Aral. M. Atkinson ne pouvait en croire ses yeux.


« J’avais peine à me persuader, dit-il, que nous traversions le steppe Baratinsky. Je voyais des collines d’une pente agréablement ménagée et couvertes de beaux arbres qui entouraient des prairies étendues : il semblait qu’on fût au milieu d’un immense parc, et, pour compléter l’illusion, j’apercevais des troupeaux de daims sauvages qui bondissaient dans les clairières. La prairie était entrecoupée de hautes futaies, et çà et, là des bouquets de jeunes arbres étendaient leurs rameaux aux endroits mêmes qu’un jardinier paysagiste aurait choisis pour obtenir un bel effet. Dame Nature s’était chargée de décorer le paysage, et, par une judicieuse distribution des bois et de l’eau, avait fait du steppe un parc magnifique. Le sol était couvert de fleurs très variées, parmi lesquelles des géraniums, deux variétés de delphiniums, l’une bleu pâle, l’autre d’un beau bleu foncé, des dianthus blancs ou rouge foncé croissaient en touffes épaisses avec nombre d’autres plantes qui m’étaient inconnues. Je me suis plu souvent à placer en idée, au milieu de ces beaux sites, un château d’une construction noble et simple, en rapport par ses proportions avec les immenses plaines qui m’entouraient. »


La première ville un peu importante que M. Atkinson rencontra sur sa route est Shadrinskoï, située à 2,591 verstes de Saint-Pétersbourg, au milieu d’un beau et riche pays qu’elle domine par sa position. Ses églises en pierre blanche, dont les clochers s’aperçoivent à plusieurs lieues de distance, ses édifices publics avec leurs dômes peints en vert et leurs croix dorées qui reluisent au soleil, contrastent agréablement avec la sombre ceinture de forêts qui entoure la ville. Shadrinskoï, entrepôt des marchandises européennes qui ont franchi l’Oural, est un marché important, et fait un commerce considérable