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Il y aurait autant de naïveté à disculper les Russes de tout projet ambitieux que d’injustice à les accuser sans preuves : quelles que soient les vues ultérieures de la Russie sur la Boukharie, on doit reconnaître qu’elle n’a cherché à faire aucun progrès de ce côté depuis la soumission du khan de Khiva. Elle a porté l’effort de sa puissance vers la Chine, dans le pays des Kirghiz de la Grande-Horde, établis au nord et à l’est de la mer d’Aral. Cette mer reçoit sur sa côte orientale un fleuve presque aussi considérable que l’Oxus : c’est le Sir-Darya, l’Iaxartes des anciens. Les Russes ont remonté ce fleuve jusqu’à la ville d’Ak-Metschid, dont ils se sont emparés, et dont ils ont fait une forteresse qu’ils appellent Perovski : ils ont ensuite établi le long du fleuve une chaîne de postes militaires, de façon à couper en deux le pays des Kirghiz et à occuper toutes les routes par lesquelles passent les caravanes qui descendent du sud vers le nord. Il y a trois ans, ils ont porté leurs postes jusqu’à la ville de Tashkend, objet de si longues luttes entre les khans de Khiva et de Kokhand ; enfin, dans le courant de 1857, ils ont amené le khan de Kokhand à se reconnaître leur vassal. Ce dernier succès a mis définitivement sous la surveillance et en même temps aux mains des Russes tout le commerce de la Boukharie, du pays de Balkh, du pays de Kashgar et du Thibet, avec l’Asie septentrionale. Une mission scientifique dans ces contrées a été immédiatement confiée à l’un des fonctionnaires supérieurs de l’université de Moscou, M. Severkof, qui a été chargé d’en étudier les richesses agricoles et minérales. Enfin on annonce qu’une masse de trente mille hommes, composée sans doute en grande partie de Tartares auxiliaires, est réunie sur les bords du Sir-Darya, et que le général russe Katenin se prépare à pénétrer à sa tête dans les monts Moustagh, qui séparent le bassin de la mer d’Aral du grand désert de Gobi et des Tartares tributaires de la Chine. S’agit-il de tenter quelque entreprise contre le territoire chinois, de châtier des tribus de pillards, ou de mettre au pouvoir de la Russie quelque route commerciale encore en dehors de sa surveillance ? Les documens russes se taisent à cet égard.

Ce n’est pas de ce côté seulement que les Russes établissent un nouveau point de contact entre leurs possessions et la Chine. À l’extrémité septentrionale du pays des Kirghiz, entre la grande chaîne des monts Syan-Tchan, couverts de neiges éternelles, et les derniers chaînons du Petit-Altaï, s’étend une mer intérieure qui ne le cède guère en importance à la mer d’Aral : c’est le lac Balkhash ou Tenghiz. Toute la contrée qui entoure ce lac est riche, fertile et bien peuplée, ainsi que la vallée de l’Ili, fleuve considérable qui prend sa source dans la Mongolie, court parallèlement aux monts Syan-