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coteaux de l’Oural, sur les bords de la Maïas et du Tobol. Des postes de Cosaques établis au milieu d’eux, le long des cours d’eau, les emprisonnent dans un cercle de plus en plus étroit, et les façonnent insensiblement au joug moscovite.

Les Cosaques sont pour la Russie l’instrument le plus précieux : le premier rôle leur appartient dans cette politique d’agrandissement indéfini dont les rapides succès doivent changer un jour la face de l’Asie. C’est avec l’aide des Cosaques que la Russie s’assimile peu à peu les populations asiatiques, quelle modifie leurs habitudes, leurs croyances, leurs mœurs, et qu’elle les transforme en auxiliaires de sa puissance. Le Cosaque portera un jour jusqu’au cœur de la Chine la contagion de la domination russe. Des agens plus civilisés n’exerceraient pas à beaucoup près la même influence. On ne saurait persuader au nomade de l’Asie qu’il n’existe point entre l’Européen et lui une barrière infranchissable : la différence des races non-seulement justifie, mais nécessite même à ses yeux l’opposition des mœurs. Il n’aperçoit aucun point de contact avec l’homme dont les habitudes, le costume, la langue, la religion s’éloignent si complètement de ses idées traditionnelles ; il n’admet pas que rien de ce qui convient au fils des villes puisse convenir aussi au fils de la tente : les usages doivent être distincts comme les destinées. Rien au contraire ne semble séparer le nomade asiatique du Cosaque. Celui-ci est homme de guerre et homme de cheval ; il sait manier la lance et la hache de combat ; il s’entend à l’élève des troupeaux, il porte le costume du steppe et parle une langue intelligible sous la tente : souvent il adore le même dieu que le nomade, et il est en proie aux mêmes terreurs superstitieuses. D’où vient que son sort est préférable à celui du Kirghiz ? Le Cosaque possède les armes meurtrières de l’Européen, et sait s’en servir aussi bien que de la lance ; il sait se construire une demeure plus stable et plus commode que la hutte ou la tente ; il pare cette demeure de mille ustensiles que le Kirghis convoite, il sait faire produire à la terre un grain qui sert à sa nourriture, et d’où il tire une liqueur enivrante. Le Cosaque ne reconnaît point de maître ; son nom même signifie liberté. Seulement il possède dans les régions lointaines de l’Occident un père dont la puissance est sans bornes, un père qui veille sans cesse sur ses enfans, qui sait au besoin les défendre ou les venger, et qui répand parmi eux de continuels présens. Pourquoi le nomade n’adopterait-il pas les usages du Cosaque ? pourquoi n’aurait-il pas un champ en même temps qu’un troupeau ? pourquoi n’essaierait-il point d’entrer dans la famille de ce père bienfaisant qui distribue des terres et des pensions ? C’est ainsi qu’au sud comme au nord de l’Altaï, dans les steppes de l’Asie centrale comme dans les plaines de la Sibérie, les nomades