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d’avoir indiqué le parti qu’on en pouvait tirer et d’avoir mis le premier la main à l’œuvre revient à Nikite Demidof, que Pierre le Grand envoya dans l’Oural en 1701 ou 1702 pour étudier les ressources du pays. Demidof consacra plusieurs années à ses explorations. On montre encore la place où naquit son fils aîné, le bisaïeul du chef actuel de la famille. Sa femme descendait la Tchoussovaia sur une barque qui portait en Russie les premiers produits des mines de l’Oural, lorsqu’elle se sentit prise des douleurs de l’enfantement. On la détermina, non sans difficulté, à débarquer : à peine l’avait-on transportée à terre, qu’elle donna le jour à un fils. Ainsi naquit sur la terre nue, à l’abri d’une tente improvisée avec un morceau de toile, celui qui devait fonder une des plus grandes fortunes territoriales de l’Europe. Cet emplacement est indiqué par une croix de pierre portée sur trois gradins : c’est une petite presqu’île de trois cents mètres de long sur vingt-cinq de large, qui s’étend au pied de rochers abrupts ; en face, de l’autre côté du fleuve, se dressent perpendiculairement des masses de granit contre lesquelles le marinier tremble toujours de se voir jeté. Nikite Demidof, qui ne tarda point à établir sa résidence dans l’Oural, désigna lui-même avec une entente merveilleuse les points où il fallait chercher le minerai, les endroits où l’on devait établir les usines, et il organisa l’exploitation des mines sur le pied où elle se poursuit encore aujourd’hui. Il fut surpassé par son fils, qui était un esprit supérieur et qui a marqué du cachet de la grandeur tous les édifices qu’il a construits, tous les établissemens qu’il a formés. La première usine fondée dans l’Oural est celle de Neviansk, sur les bords de la petite rivière Neva : on y voit encore le château commencé par Nikite Demidof, terminé par son fils, et qui fut longtemps la résidence de la famille. C’est un immense et magnifique édifice, de l’aspect le plus imposant, et dont l’ornementation intérieure atteste le goût le plus raffiné. Aucun des propriétaires ne l’a habité depuis bien des années ; mais rien n’a été distrait du somptueux mobilier, rien n’a été changé dans l’organisation domestique. À quelque heure qu’un étranger se présente, de nuit ou de jour, il est sûr d’être accueilli, d’être conduit à la chambre d’honneur, et traité comme le maître du logis. Les mets les plus délicats, les vins les plus renommés, le porto, le madère, le vin du Rhin, le Champagne, sont servis sur sa table. Telle est la fastueuse hospitalité de l’Oural, et l’un des sujets de plainte de M. W. Atkinson, c’est la quantité de champagne qu’il lui fallait boire dans chacune des résidences où ses explorations le conduisaient. À côté du château de Neviansk s’élève une tour en briques, plus haute que la tour de Pise et également inclinée. On y pénétrait autrefois par une galerie souterraine, aujourd’hui fermée.