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général de la Sibérie occidentale, a poussé la complaisance jusqu’à faire transporter de poste en poste par les Cosaques de la frontière les cartons et le papier à dessiner de l’infatigable explorateur. Le gouverneur général de la Sibérie orientale, le général Mouravief, n’a pas fait preuve de moins d’empressement : partout les fonctionnaires ont rivalisé de zèle pour faire voir à M. Atkinson ce qu’il désirait visiter ; partout on lui a donné des guides pour le conduire, des escortes pour le protéger. Malheureusement M. Atkinson n’a contemplé la Sibérie et l’Asie centrale qu’avec les yeux d’un artiste. Uniquement épris du pittoresque, il ne cherchait sur les deux versans de l’Altaï que de beaux paysages à reproduire sur son album : des cascades gigantesques, des cimes neigeuses, des lacs entourés d’une verdure luxuriante, les perspectives infinies du désert. Il ne lui est pas venu à la pensée que cette inviolabilité qu’il devait à un passeport russe, et qui était aussi complète chez les Baskhirs, chez les Kirghiz ou chez les Mongols qu’à Saint-Pétersbourg, était un fait bien autrement curieux et intéressant que les petites mésaventures qu’il raconte avec une fatigante complaisance, comme s’il n’était arrivé à aucun voyageur avant lui de souffrir de la faim et de la soif et de voir ses jours menacés. M. Atkinson n’a pas mieux servi les intérêts de la science que ceux de la politique : c’est à peine si le botaniste et le géologue pourront glaner quelques rares indications dans ce livre, que des descriptions remplissent tout entier ; le voyageur a négligé jusqu’aux observations barométriques, qui lui auraient permis de fournir aux géographes des renseignemens utiles. C’est donc presque sans fruit pour l’Europe qu’il a parcouru des pays où aucun voyageur n’avait pénétré avant lui. Nous tâcherons cependant de recueillir et de coordonner les détails et les remarques que M. Atkinson laisse échapper chemin faisant ; les conclusions qui en découleront suffiront à faire pressentir tout ce qu’un observateur intelligent aurait pu nous apprendre.


I

La chaîne de l’Oural qui sépare la Russie de la Sibérie offre cette particularité, qu’elle paraît beaucoup plus élevée du côté de l’Asie que du côté de l’Europe. C’est que vers l’orient la transition est brusque de la montagne à la plaine, et que vers l’occident la pente est ménagée. À partir de Moscou en effet, le terrain s’élève graduellement jusqu’à l’Oural par une série de plateaux successifs, disposés comme les marches d’un immense escalier. Le long de cette pente descend, avec tous ses affluens, la Tchoussovaia, qui va porter au Volga les eaux de l’Oural, et offre une voie toute tracée à travers