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de la Chine pourront s’écouler, à travers la Sibérie, d’un côté vers l’Europe, de l’autre vers l’Océan-Pacifique. Comme le commerce répand sur son passage la prospérité et les lumières, la Sibérie ne saurait servir longtemps d’intermédiaire entre l’Occident et l’Orient sans voir grandir sa population et ses ressources, et il en résulterait bien vite pour la Russie un énorme accroissement de puissance. Armée de tous les avantages d’une civilisation supérieure, elle tiendrait dans ses mains le sort de la Chine et les destinées de l’Asie.

C’est là une ambition aussi légitime qu’elle est grande, et si la Russie se fait dans l’extrême Orient le missionnaire du progrès, tous les amis de l’humanité devront applaudir aux succès qu’elle obtiendra. Il serait du plus haut intérêt de pouvoir suivre dans le détail les efforts incessans du gouvernement russe pour mener à bonne fin l’œuvre gigantesque qu’il a entreprise ; mais soit par habitude de ce mystère où se complaisent les cours despotiques, soit par crainte d’éveiller les défiances ou les jalousies de l’Europe, le cabinet de Pétersbourg ne laisse rien transpirer des résultats de sa politique, et cache avec autant de soin ses succès que ses revers. C’est à peine si de loin en loin quelque révélation imprévue, en dévoilant un progrès nouveau de la Russie en Orient, ramène l’attention des hommes politiques sur le développement continuel d’une puissance qui, depuis trois siècles, n’a jamais fait un pas en arrière. Le rapprochement de mille petits faits permet seul de soupçonner une pensée d’ensemble dont la trace se laisse deviner, mais qui ne s’avoue nulle part : quant aux moyens d’exécution, disséminés dans toute l’étendue d’un territoire immense, le gouvernement russe en connaît seul l’importance et l’efficacité.

Aucun Européen n’a été aussi bien placé que M. Witlam Atkinson pour voir à l’œuvre et pour apprécier les ressorts de la politique russe en Orient. Il a consacré sept années, de 1847 à 1855, à visiter la Sibérie, qu’il a parcourue presque tout entière : ses explorations l’ont conduit dans le voisinage de la Tartarie, à travers toute la Mongolie, et jusque sur les frontières de la Chine. Il est le premier voyageur venu de l’Occident qui ait vu l’immense chaîne des monts Syan-Shan, franchi l’extrémité septentrionale du désert de Gobi et pénétré dans le pays des Kalkas. Dans tout ce parcours, qu’il évalue à douze ou quatorze mille lieues, la protection des autorités russes n’a jamais manqué à M. Atkinson. Il reconnaît hautement toutes les obligations qu’il a aux plus hauts personnages de l’empire, entre autres à la grande-duchesse Hélène et au comte de Nesselrode : l’empereur Nicolas lui avait fait délivrer un passeport spécial qui lui permettait de franchir les frontières sur tous les points, de quitter l’empire et d’y rentrer aussi souvent qu’il lui plairait. Le prince Gertchikof, gouverneur