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LA POÉSIE GRECQUE DANS LES ÎLES-IONIENNES.

« LA MERE. — J’entends derrière la porte comme un gémissement, comme un cri d’agonie. Je vais voir.

« La pauvre mère se lève. — Un corps gisait sur la terre. Son visage était pâle, ses cheveux en désordre se répandaient sur la poitrine ; ses mains gelées, raidies par le froid, étaient cachées dans son sein.

« LA MERE. — Mon enfant, accours, aide-moi. Tout ce que tu as entendu est vrai.

« Ils emportent l’inconnue dans leurs bras, et on la rappelle à la vie dans un lit.

« L’INCONNUE. — Allez vous reposer, mes enfans. Il est minuit, dormez en paix.

« LA MERE ET L’ENFANT. — Bon réveil, pauvre femme, dors bien jusqu’au matin.

« La mère et l’enfant se couchent ensemble, et bientôt un sommeil profond leur ferme les paupières. La pauvre inconnue ne trouve pas le sommeil. Quel malheur l’a suivie dans son lit ?


II. — LE REVENANT[1].

« L’INCONNUE. — Athanasi, dis-moi, pourquoi restes-tu debout devant mes yeux, muet comme un cadavre ? Pourquoi, mon Athanasi, sors-tu la nuit ? Pourquoi seul ? Il n’y a donc point de sommeil dans la tombe ?

« Bien des années se sont passées… On t’a jeté bien profondément dans La terre… Fuis, aie pitié de moi, je veux dormir. Laisse-moi tranquille, j’ai besoin de repos.

« Ton forfait, je l’expie. Vois ce que je suis devenue. Athanasi, retire-toi. Tout le monde s’éloigne de moi ; pas un ne fait l’aumône à ta veuve délaissée.

« Ne t’approche pas tant de moi… Pourquoi m’effrayer ainsi ? Athanasi, qu’ai-je fait pour mériter une telle terreur ? — Comme tu es vert ! — Tu sens la terre… Athanasi, dis-le-moi, depuis tant d’années la tombe ne t’a pas encore dévoré ?

« Ramasse un peu ton linceul… Les vers rongent ton visage. Maudit, vois comme ils sautent sur moi et rampent sur mes chairs !

« D’où viens-tu par un pareil ouragan ? N’entends-tu pas la tempête ? Elle me glace le sang. Pourquoi sortir de ta tombe ? Dis-moi, d’où viens-tu ? qui es-tu venu voir ?


« ATHANASI VAïAS OU LE REVENANT. — Par une pareille nuit, j’étais enfermé dans l’obscurité de ma tombe, et tandis que je restais enveloppé dans mon linceul, accroupi sous la terre,

« J’entends au-dessus de moi une chouette qui criait : « Athanasi Vaïas, lève-toi, car un millier de morts sont arrivés de loin, et ils te cherchent pour que tu les conduises là où tu sais.

« J’ai entendu ces paroles, j’ai entendu mon nom, et j’ai senti mes os craquer et se réduire en poudre. Je me cache, je m’enfonce aussi profondément que je puis, afin de ne pas les voir.

  1. Βρυκόλακας, revenant. — Tommaseo, le célèbre poète, croit que c’est un mot dérivé du slave.