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en donnant du développement aux propriétés et aux richesses d’autrui. Le Brésil a besoin de colonisation et de colons : ce sont deux nécessités profondément senties par le pays, qui manque de bras pour la culture des terres et pour l’industrie, auxquelles les esclaves commencent à ne plus suffire. Il a besoin d’un surcroît d’habitans, qui créent de nouveaux centres, élèvent des villes, achètent des terres, peuplent les déserts, et partagent avec les indigènes les avantages et les devoirs du citoyen.

En jetant les yeux sur la carte du monde, nous croyons que les colons temporaires peuvent venir au Brésil de tous les pays, mais que la colonisation ne lui viendra que de l’Allemagne et de la Suisse ; ce sont les seules contrées dont les idées d’émigration s’adaptent aux véritables exigences du Brésil. Les Français et les Italiens n’émigrent pas volontiers. Le Portugal et la Galice en Espagne envoient beaucoup de colons, mais plutôt pour le commerce que pour l’agriculture ; les émigrans irlandais se dirigent vers l’Australie et les États-Unis, où ils trouvent la même langue et les mêmes mœurs. Le Brésil ne doit réellement attendre la colonisation que de l’Allemagne et de la Suisse. En Allemagne surtout, il y a nécessité d’émigration. D’abord il y naît chaque année près de trois cent mille personnes de plus qu’il n’en meurt ; ensuite, en Bavière, en Wurtemberg et dans quelques autres états, le sol n’est pas divisible ; sur les bords du Rhin et dans le duché de Bade, il est au contraire trop divisé, et la petite propriété est chargée de taxes énormes et courbée sous le poids de l’usure. Enfin les Allemands sont passionnés pour la propriété territoriale : ne la trouvant pas chez eux, ils la cherchent volontiers dans une autre patrie, et c’est la raison principale de l’incessante émigration dont ce pays est le point de départ.

Pour les colons, l’essor est donné ; il en arrive déjà beaucoup au Brésil, et cependant il n’en arrive pas encore assez. Les villes du littoral emploient aujourd’hui les blancs à des travaux qui, il y a huit ans, étaient faits exclusivement par les esclaves ; ceux-ci disparaissent des villes et sont envoyés dans les campagnes pour être employés aux travaux de l’agriculture. Déjà plusieurs propriétaires ont fait venir du Portugal, des îles Açores, et même de l’Allemagne et de la Suisse, des agriculteurs pour cultiver leurs plantations. Les frais de voyage qu’ils avancent aux émigrans sont couverts par une retenue sur le salaire qu’ils leur paient ou sur la part qu’ils leur donnent dans les bénéfices de l’exploitation, selon la teneur du contrat qu’ils ont fait avec eux. Ainsi dans la province de Rio-Janeiro il y a au moins une douzaine de propriétaires qui font exploiter leurs plantations par des colons portugais et espagnols ; un seul, à Cantagallo, en emploie près de mille, et beaucoup d’autres n’attendent, pour suivre cet exemple, que le moment où ils connaîtront