Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 14.djvu/793

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas sa faute, je le sais, si le dépit d’Immermann se traduit d’une façon si cruellement injuste pour la jeune femme qu’il a choisie : oui, sans doute, tout cela est vrai, et cependant, je le demande encore, ce souvenir ne jette-t-il pas ici une ombre pédantesque ? Tel est le châtiment de ces situations fausses et de ces amitiés impossibles. J’insiste sur ce point, parce que Mlle Assing semble avoir reculé devant la moralité de son récit. Immermann était malheureux, et il fallait qu’une douce et charmante créature en portât la peine. Depuis le départ de Mme d’Ahlefeldt, il ne produisit presque rien d’important. Il semblait que l’inspiration de la jeunesse se fût envolée avec elle ; une inspiration plus haute aurait fortifié son génie, s’il eût accepté vaillamment son existence nouvelle. Au mois d’août 1840, sa femme lui ayant donné une fille, son cœur fut inondé de joie. Il ne put jouir longtemps de ce bonheur. Quelques jours après la naissance de son enfant, il fut atteint d’une fluxion de poitrine qui l’emporta en moins d’une semaine. C’est le 25 août 1840 qu’il rendit le dernier soupir. Sa veuve n’avait pas vingt ans, sa fille n’avait pas dix jours.

C’est ici que la comtesse d’Ahlefeldt reparaît dans toute sa grâce. La mort d’Immermann l’affligea profondément. Elle entoura Marianne Niemeyer des plus affectueuses consolations. Elle lui offrit un asile dans sa maison, et assura une rente annuelle à l’enfant de son mari. Elle avait le droit de consoler la veuve de celui qu’elle avait aimé, et elle usait de ce droit avec une délicatesse exquise. Elle prodiguait aussi les encouragemens à la famille du poète. « Chère madame, lui écrivait Ferdinand Immermann, votre lettre a été pour nous comme la voix d’un ange du ciel. Ma pauvre mère vous remercie du fond du cœur ; vos paroles lui ont été un soulagement bien précieux. Le coup qui vient de nous frapper a été si soudain, si terrible, qu’elle a failli en perdre la raison. Ses cheveux en ont blanchi. Ah ! madame, nous qui l’avons le plus longtemps connu, nous qui l’avons le mieux aimé, unissons-nous plus intimement que jamais, faisons alliance dans le souvenir et l’espérance. Que Dieu vous garde, madame, et que de cette mort il fasse sortir pour vous et pour nous l’éternelle vie et l’éternel amour ! » La femme à qui une âme pieuse et contristée pouvait écrire sur ce ton, c’était celle qui, pendant plus de dix ans, au milieu des sourires et des chuchotemens du monde, avait été la compagne dévouée d’Immermann. Je signalais tout à l’heure les inconvéniens de ces situations périlleuses ; je m’arrête maintenant sur cette lettre. Si l’honneur de Mme la comtesse d’Ahlefeldt avait besoin d’une justification, je n’en voudrais pas d’autre que celle-là.

Raconterai-je les dernières années de Mme d’Ahlefeldt ? La suivrai-je