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pour elle. Quand elle fit les premières démarches pour obtenir ce changement de nom, elle prévint M. de Lützow, qui lui répondit en ces termes : « Si tu crois te rapprocher de ta famille en reprenant le nom de ton père, fais-le ; tu ne seras pas pour cela moins près de mon cœur. » M. de Lützow ne tarda pas à se sentir malheureux de son nouveau mariage, et la comtesse d’Ahlefeldt eut encore à exercer sur cette âme en peine la charité délicate dont elle avait le secret. « Si tu pouvais lire au fond de mon cœur, lui écrit-il un jour (il y avait un an à peine qu’il était remarié), oh ! combien tu me plaindrais ! Je suis malheureux plus que je ne puis l’exprimer. C’est moi-même je le sais bien, qui suis cause de mon malheur, et cependant, si tu savais tout, tu aurais pitié de moi ! Ne me refuse pas la consolation de ta sympathie, de ton amitié,… sinon il ne me resterait plus qu’à mourir… Oh ! si je pouvais te revoir encore une fois ! » Cette idée d’une entrevue avec Elisa s’empare de lui et ne le quitte plus. Les sentimens d’amitié que la comtesse d’Ahlefeldt lui exprime dans ses lettres ne suffisent plus à calmer la fièvre de ses regrets ; c’est de sa bouche même qu’il veut entendre une parole de pardon. Cette plainte continuelle finit par devenir touchante, comme l’est toujours l’expression vraie de la souffrance. Elle a beau être dictée par l’égoïsme beaucoup plus que par l’amour ; cet égoïsme est si naïf qu’on se laisse prendre à sa douleur. Le 6 mai 1829, M. de Lützow écrivait à la comtesse d’Ahlefeldt : « Mon Élisa bien aimée, advienne que pourra, il faut que je te revoie, il faut que tes paroles relèvent mon courage et me rendent à la vie. Je vais partir. J’irai d’ici à Paderborn, et là je prendrai la poste pour Düsseldorf. Je ne puis t’indiquer exactement le jour de mon arrivée, mais ce sera vers le 16 ou le 17. Attends-moi, n’est-ce pas ? Oh ! tu ne refuseras pas de me recevoir ! Ce serait trop de cruauté. » Il arriva, et la comtesse le reçut. Ils ne s’étaient pas rencontrés depuis le jour de la séparation ; on devine avec quelles émotions ils se retrouvèrent en présence l’un de l’autre. L’embarras de la comtesse ne fut pas de longue durée, elle avait cette grâce supérieure que les situations les plus délicates n’effarouchent pas, et elle remplissait auprès d’une âme malade un devoir d’angélique charité ; mais comment peindre la confusion de M. de Lützow ? C’est à peine s’il put se remettre un instant du trouble qui l’agitait ; il ne cessait de pleurer et de s’accuser lui-même, il se reprochait dans les termes les plus amers d’avoir détruit à jamais le bonheur de sa vie en renonçant à une telle femme, et ces plaintes désespérées étaient entremêlées de confidences navrantes. Cette visite lui fit du bien ; quelques jours après, à peine revenu à Munster, il écrivait à Mme d’Ahlefeldt pour la remercier de ses consolantes paroles : « Que tu es bonne et généreuse !