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IV

Que devenait cependant M. de Lützow ? La femme pour laquelle il avait quitté si misérablement Élisa d’Ahlefeldt, après l’avoir attiré par sa coquetterie, avait refusé de lui donner sa main ; humilié de son rôle, puni par la honte et le dépit, il vivait tristement dans la solitude, qu’il s’était faite. On a déjà vu quelle était l’irrésolution et la faiblesse de cette conscience troublée ; avec une naïveté qui eût été du cynisme chez un autre, il racontait lui-même à celle qui avait porté son nom l’histoire de ce mariage manqué, il lui avouait sa tristesse, et lui demandait les consolations de l’amitié. Il fallut que l’épouse répudiée écrivît des lettres de sympathie et d’encouragement à l’homme dont elle avait tant à se plaindre. Cette situation qui pouvait devenir si ridicule, Élisa d’Ahlefeldt la sauvait par sa dignité naturelle et sa simplicité cordiale Elle traitait de loin ce pauvre esprit malade comme une sœur de charité, elle écoutait ses doléances, elle semblait condescendre à ses caprices, elle l’entourait de conseils et de soins affectueux ; on voit par les lettres de M. de Lützow quelle action bienfaisante elle exerçait sur lui. Il y avait pourtant bien des heures où le souvenir de ce qu’il avait perdu et les reproches de sa conscience ; lui donnaient une sorte d’excitation fiévreuse. En 1828, quatre ans après son divorce, il se décida subitement à épouser la veuve de son frère Wilhelm, qui était mort l’année précédente, et en même temps il écrivait à sa première femme. : « O ma chère Élisa ! je sens que je ne suis pas né pour la vie de la famille ; sans cela, j’aurais joui auprès de toi d’une félicité parfaite. Qui pourrait désirer plus que je n’ai possédé ?… Augusta est certainement une agréable femme ;… mais l’amour, l’amitié profonde que j’ai vouée jusqu’à la mort à un être pour lequel j’ai un respect infini, ô ma chère Élisa ! rien ne pourra l’arracher de mon cœur. » Et dans une autre lettre : « Augusta est remplie de qualités aimables, distinguées… Sa malheureuse position, ma tendre amitié pour mon frère Wilhelm, m’ont inspiré la résolution que j’ai prise et accomplie très rapidement… Juge-moi avec indulgence, et puisse le ciel bénir cette union !… Les sentimens les plus contradictoires me déchirent. Mon cœur, ô mon Élisa ! reste attaché à ton souvenir avec des chaînes de fer. »

Après le mariage de M. de Lützow, Élisa reprit le nom de sa famille. Le roi de Danemark, sur sa demande, lui permit de porter le titre de son père et de s’appeler la comtesse d’Ahlefeldt. Elle ne voulait pas qu’on pût la confondre avec la nouvelle Mme de Lützow ; elle la connaissait depuis longtemps et n’avait jamais eu de sympathie