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il ne faut pas, dit-elle, arrêter sa pensée sur des malheurs auxquels il n’y a point de remède. Ces étranges aventures lui restèrent donc profondément cachées ; il n’en savait que ce que lui apprirent les bruits de la capitale. » C’est ainsi que Mme de Lützow, parlant de malheurs sans remède et ajournant les confidences, ajournait aussi les aveux de son ami. Ame affectueuse et pudique, elle voulait aimer sans presque se l’avouer à elle-même. Immermann respecta longtemps ses scrupules : un jour vint cependant où il fut obligé de parler. On venait de lui donner un avancement qui l’envoyait à Düsseldorf. Qu’allait faire Mme de Lützow ? Le suivre ou le quitter ? Si elle le quitte, quel chagrin pour tous les deux ! Et comment le suivre ainsi de ville en ville, sans avoir uni sa destinée à la sienne ? Mme de Lützow avait de ces hardiesses vis-à-vis du monde qui n’appartiennent qu’aux cœurs purs et bien assurés d’eux-mêmes : je vous suivrai, lui dit-elle, mais ne parlons pas de mariage. Sa décision était inflexible. Elle croyait à l’amour d’Immermann, elle avait moins de foi dans la durée de cet amour. Immermann n’était-il pas plus jeune qu’elle ? Il avait trente et un ans, elle en avait trente-sept. Encore quelques années, et la distance qui les séparait serait bien autrement grande. Ce tact exquis, cette délicatesse de cœur et de raison qu’elle avait à un si haut degré, lui faisaient un devoir de sacrifier son amour ; dès qu’elle connut son devoir elle l’accepta sans murmurer. Il y eut sans doute, avant que le sacrifice fût décidé, bien des combats au fond de son cœur, bien des larmes répandues. Immermann allait au-devant des objections, il s’enivrait et cherchait à l’enivrer elle-même de ses promesses ; pourrait-il jamais aimer une autre femme ? Elle fut inébranlable ; seulement, dans ces émotions du sacrifice, ils se jurèrent tous deux de ne point contracter une autre union. Ce serment seul put consoler Immermann ; puisqu’elle ne devait pas être sa femme, elle serait du moins son amie, sa compagne, sa muse… Et que leur feraient à l’avenir les vains propos du monde ?

C’est au printemps de l’année 1827 qu’Immermann alla prendre possession de son nouveau poste à Düsseldorf ; Mme de Lützow l’y rejoignit au mois d’août. Ils louèrent une maison de campagne près de la ville, dans le joli petit village de Derendorf. Mme de Lützow avait une passion pour les fleurs ; cultivé sous sa direction, le jardin déploya bientôt tous ses trésors. On se souvient encore à Derendorf de ces magnifiques rosiers qui montaient le long des murs jusque sous les fenêtres du poète. Immermann, dans son poème de Merlin, a chanté les ombrages du parc et les blanches haies d’aubépine. Cette retraite toute printanière était merveilleusement favorable à la rêverie. Une aile de la maison lui était réservée ; là, au milieu de