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langage moderne. Non-seulement les termes, mais encore les tournures grammaticales ne sont pas indifférentes à l’expression de la pensée. Tels sentimens qui demeurent la propriété exclusive d’un certain siècle semblent ne pouvoir être exprimés que par la langue de ce siècle. La crudité des expressions nous fait regarder le moyen âge comme naïf : c’est une erreur ; le moyen âge n’était pas plus naïf que nous le sommes. Ses expressions, qui nous semblent parfois plus que légères, étaient alors conformes à l’usage et inhérentes aux mœurs, et c’est leur contraste avec nos propres habitudes qui leur donne une singularité relative. Aussi ferons-nous à M. de Coster le reproche de n’avoir point usé complètement de cette singularité en modernisant l’orthographe des mots dont l’usage s’est conservé. L’inconvénient est sans doute beaucoup moins grand que s’il s’était attaqué, comme les éditeurs de Hollande, au texte même de Montaigne et de Rabelais, mais il n’en subsiste pas moins. Sauf cette modification purement plastique, le fond des Légendes flamandes ne manque pas de couleur. L’auteur possède éminemment l’intelligence morale du pays et de l’époque où il place ses récits. Il a su avec un rare bonheur exprimer la spécialité de son sujet. C’est bien le moyen âge qu’il nous représente avec ses rudesses, ses bonhomies, ses gracieuses nonchalances ; mais c’est de plus le moyen âge flamand. Aussi ses principaux personnages peuvent-ils servir de types, et se distinguent-ils par un élément particulier des figures du moyen âge que nous connaissions jusqu’à présent.

Derrière les spécialités de tournures et de style que lui imposait un pareil ouvrage, M. de Coster laisse deviner son propre style, et ce n’est pas à son désavantage. Son livre renferme un sentiment général de grâce et de mélancolie qui est évidemment dû à la seule personnalité de l’auteur. On n’y trouve pas au même degré la finesse et la légèreté qui distinguent les Cent Nouvelles nouvelles, ni la grosse gaieté gauloise de Rabelais. Cette différence tient peut-être à la liqueur que boivent les personnages des Légendes flamandes : l’ivresse de la bruinbier est moins pétillante et plus lourde que l’ivresse du vin ; mais il faut remercier M. de Coster de ce qui lui appartient plus particulièrement, de ce que l’imitation même la plus habile ne pouvait guère lui donner, c’est-à-dire de l’heureux choix de ses situations, de l’intérêt et du naturel de ses dialogues, enfin de l’expression fidèle des sentimens, des caractères et des mœurs propres à l’époque et au pays qu’il a étudiés.

Il semble qu’il y ait au fond de la métaphysique je ne sais quelle pierre philosophale qui attire constamment d’infatigables chercheurs. Faut-il encourager, faut-il prendre en pitié tous ces esprits, terribles révolutionnaires en apparence, mais dont la monomanie est au fond bien paisible et bien incapable d’opérer le moindre changement ? Ils se présentent hardiment, qui avec une nouvelle méthode, qui avec un nouveau critérium, qui avec une nouvelle classification ; il s’agit toujours d’une panacée universelle ; les plus modestes, s’ils ne le disent pas, du moins le donnent à entendre. Encore une fois, méritent-ils nos encouragemens ou notre dédain ? Ni ceci ni cela. Ce serait ou enfler inutilement la vanité la plus absorbante que nous connaissions, la vanité de faiseur de système, ou l’irriter plus inutilement encore.