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plus d’un défilé périlleux. Malheureusement il s’est trouvé engagé dans une singulière aventure par son collaborateur, et, s’il faut tout dire, l’œuvre nouvelle ne paraît pas la plus éloquente justification des théories que M. Legouvé émettait en entrant à l’Académie en faveur du système des collaborations littéraires. Quel est le sujet de la comédie récemment représentée sous ce titre mystérieux des Doigts de Fée ? Vous êtes dans un château de Bretagne où tout se passe absolument comme à Paris. Voici une jeune fille, belle et intelligente, mais pauvre, triste descendante d’une famille noble, recueillie par pitié, tolérée dans la maison. À côté est justement le parent qui a recueilli la jeune fille. Ce noble de vieille souche qui, comme bien d’autres, cherche dans l’industrie le moyen de dépenser dix mille francs de plus que son revenu, ce parent est dur pour la pauvre Cendrillon, qu’il opprime en lui reprochant l’asile qu’il lui donne. Il s’indigne surtout en apprenant que son fils aime la jeune orpheline et veut l’épouser. Là est le nœud du drame, tout découle de cette donnée. Maintenant attendez deux années : la jeune fille, après s’être affranchie de la servitude dans laquelle elle vivait, aura été l’habile architecte de sa fortune avec ses doigts de fée, ou, pour parler plus vulgairement, en ouvrant un magasin de modes, et son noble parent, engagé dans l’industrie, sera ruiné au contraire. Alors s’opéreront les rapprochemens, et les mariages impossibles redeviendront naturels. D’habitude on fait une comédie avec une idée morale ou avec des caractères. L’idée morale de la comédie nouvelle, c’est sans doute que les jeunes filles nobles qui ont le malheur de tomber dans la pauvreté se relèvent par la couture. Or, puisque les auteurs voulaient représenter l’opposition de la noblesse et du travail, ils auraient pu, ce nous semble, donner à leur idée une forme moins vulgaire, et placer la scène de leur drame ailleurs que dans un magasin de modes. Le noble industriel aurait pu devenir un caractère saisissant et vrai ; il est à peine ébauché, et il est parfois odieux. L’élément comique est principalement représenté dans l’œuvre nouvelle par une jeune femme qui parle sans cesse de ses toilettes, de ses robes, et par un jeune homme bègue, dont la façon de parler est destinée à provoquer l’hilarité, sans que cette triste infirmité soit au surplus un ressort particulier de la comédie. Il y a sans doute dans les Doigts de Fée quelques scènes agréables et habilement conduites, où se retrouvent encore le talent et l’esprit de deux hommes qui ont eu d’autres succès ; mais ce n’est point là certes la vraie comédie, celle qu’on attend et qu’on voudrait voir apparaître dans la maison de Molière. ch. de mazade.



ESSAIS ET NOTICES.

littérature et philosophie.

Il y a dans certaines productions contemporaines une exagération de pensée et d’expression qui est évidemment un signe d’ignorance et de déca-