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sont pas jusqu’ici les moins curieux, car l’auteur, quoique placé moins haut et même relativement moins connu que bien d’autres, avait pu voir les choses de près comme acteur du drame ; il avait été dans la familiarité de Napoléon avant le consulat et l’empire, et ce qu’il ne sait pas directement, il a pu l’apprendre par les confidences de Joseph Bonaparte, dont il fut l’ami, le ministre, le conseiller intime à Naples et en Espagne comme à Paris.

Ces Mémoires du comte Miot de Mélito, qui embrassent tout à la fois la révolution et l’empire, ont un intérêt singulier. Ils représentent, ce nous semble, l’esprit d’une foule d’hommes qui avaient déjà servi l’état avant 1789, qui l’ont servi depuis, et en qui on retrouve un goût prudent d’idées nouvelles allié à des habitudes de régularité et de vie polie. C’étaient des hommes utiles, connaissant bien les affaires, délaissés ou poursuivis par les régimes violens et recherchés par les régimes plus tempérés, facilement soumis là où ils apercevaient une autorité de fait à peu près régulière, et conservant toujours une certaine indépendance intérieure. La révolution ne leur convenait évidemment que dans une certaine mesure ; ils étaient restés monarchiques constitutionnels, feuillans, comme M. Miot le dit de lui-même, et l’auteur se sent visiblement à l’aise lorsqu’il est transporté du ministère de la guerre au ministère des affaires étrangères, où les habitudes révolutionnaires ont moins pénétré, où le nouveau fonctionnaire se retrouve avec des hommes comme M. Otto, M. Reinhart. Rien n’est assurément plus curieux que la peinture de ce malheureux ministère des relations extérieures à un certain moment de la révolution, c’est-à-dire lorsque la France n’avait point de relations extérieures. Le hasard avait jeté à la tête des affaires étrangères un inconnu du nom de Buchot, arrivant tout droit de sa province, où il était maître d’école. Les relations extérieures n’existant pas, le citoyen Buchot était à la hauteur de ses fonctions, et il tenait ses assises dans le café le plus voisin, où il donnait au besoin sa signature ; puis il employait le reste de son activité à faire proscrire ses employés, M. Miot, M. Otto, M. Reinhart, par la commune de Paris. Thermidor éclate tout à coup, et M. Miot reparaît comme commissaire aux relations extérieures, après avoir subi un examen assez bizarre dans le sein du comité de salut public, où l’on s’informe s’il a reçu quelque éducation et s’il sait le latin. Le candidat s’en tire fort à son honneur en ajoutant qu’il sait même l’anglais et l’allemand, sans compter l’italien. Le plus curieux de l’affaire, c’est que le pauvre commissaire Buchot, subitement évincé, ne trouve rien de mieux que de demander à son successeur de le conserver comme employé subalterne ou tout au moins comme garçon de bureau, ce que M. Miot se hâte de lui refuser, plein de mépris pour tant d’ineptie. Voilà où en étaient les affaires étrangères ! Et on conçoit l’espèce de souffrance ressentie par des esprits capables, pratiques, que ne tentaient pas les grands rôles politiques, et qui n’étaient point faits d’ailleurs pour les remplir.

Maintenant placez ces hommes utiles et jusque-là perdus, dans le bruit d’une révolution sanglante, mettez-les en présence d’un chef de génie qui saura les reconnaître, les rallier et se servir de leurs lumières, de leur zèle, de leur capacité : ils subiront naturellement l’ascendant de ce chef ; ils deviendront ses administrateurs, ses préfets, ses conseillers d’état, ses négo-