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de deux pays faits pour rester alliés dans la paix après avoir marché presque sous les mêmes drapeaux dans la guerre. Le raffermissement sérieux et durable de l’alliance de la France et de l’Angleterre, c’est là en effet ce que doivent désirer avant tout les esprits qui réfléchissent un moment sur la situation de l’Europe et du monde.

Rigoureusement, une lutte peut s’engager entre l’Occident et la Russie sans entraîner de désastres universels. La guerre a duré deux ans en Orient, et tous les intérêts des peuples n’ont pas moins continué à se développer. Qu’on songe au contraire aux conséquences terribles d’un choc entre la France et l’Angleterre : toutes les situations sont menacées, toutes les politiques sont inquiètes, tous les intérêts sont paralysés. On peut même dire que, pour les deux pays, il n’y a point de milieu entre une alliance sincère et la guerre. Un état permanent de méfiance, d’aigreur, de jalousie, ne serait point la paix, et conduirait à d’inévitables déchiremens. Que les Anglais soient sincères lorsqu’ils expriment leurs sympathies pour la France, lorsqu’ils mettent en relief tout le prix de l’alliance intime des deux peuples, cela n’est point douteux ; ils pensent ce qu’ils disent, et tous les hommes éclairés en France ont le même sentiment à l’égard de l’Angleterre, qu’ils considèrent comme une alliée nécessaire. Dans tous ces derniers incidens, il y a cependant une lumière qu’il ne faudrait pas mépriser, parce que la raison ne domine pas toujours dans la politique et ne conduit pas toujours les événemens. On a pu voir, à certains signes, combien il serait facile de réveiller des passions à peine endormies. Déjà plusieurs fois, depuis que la guerre avec la Russie est terminée, des nuages se sont élevés ; des dissidences notables, presque des scissions, se sont produites : ce sont des expériences qu’il ne faudrait pas multiplier. Justement, parce qu’on croit à la nécessité, à l’efficacité de l’alliance permanente des deux pays, dans l’intérêt de la France non moins que dans l’intérêt de l’Angleterre, il ne faudrait pas mettre périodiquement cette alliance à de trop rudes épreuves : elle pourrait finir par y succomber, et s’il en était ainsi, quel que fût le triomphateur éphémère, la civilisation du monde serait tout d’abord la première victime dans le débat.

Ces questions qui s’agitent en Angleterre, elles apparaissent sous d’autres formes dans le Piémont, non que les relations du Piémont avec la France aient subi, même momentanément, quelque altération ; mais le cabinet de Turin a cédé spontanément à une sorte de nécessité conservatrice en présentant aux chambres un projet qui frappe de peines nouvelles les attentats contre les souverains étrangers et les apologies du meurtre, et c’est là précisément ce qui le met aujourd’hui dans une situation difficile par les dissidences qui semblent éclater à cette occasion entre les partis. Le projet ministériel prononce des peines contre des faits déterminés, et en même temps, sans porter atteinte au principe du jugement par jury, il propose quelques modifications tendant à environner de plus fortes garanties le choix des juges. Que s’est-il passé dans le sein de la chambre des députés, à laquelle la question a tout d’abord été soumise ? Quelles influences ont prévalu ? La chambre elle-même n’a point discuté encore la loi nouvelle, et n’a point eu à se prononcer ; mais, par une combinaison assez curieuse, la commission