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un certain point restrictives en présence d’un système de communications qui tend à multiplier les voyages et à effacer les lignes de séparation entre les peuples ? Le gouvernement, cela n’est pas douteux, ne s’est point laissé guider par une pensée préconçue ; il veut uniquement sauvegarder un intérêt de premier ordre, celui de la sécurité intérieure. Il est de toute justice d’ajouter qu’il s’applique à tempérer les rigueurs des formalités nouvelles, en multipliant les agens consulaires et en facilitant pour les habitans des frontières les relations quotidiennes de l’industrie et du travail. C’est une atténuation pratique du principe, qui fait droit à quelques-unes des plaintes des états voisins. Il reste à savoir si le gouvernement, éclairé par l’expérience, ne trouvera pas dans des combinaisons d’un autre ordre les moyens d’exercer une surveillance aussi exacte, aussi efficace et moins gênante pour les voyageurs, plus compatible avec la liberté des communications. Des diverses questions qui se sont élevées récemment et qui ont ému l’Angleterre, celle-là est peut-être la principale, d’autant plus que les Anglais n’aiment pas les passeports. Le système des passeports est une de ces armes avec lesquelles ils font souvent la guerre au continent ; mais c’est là un fait trop ancien, quoiqu’il ressemble presque à une nouveauté aujourd’hui, pour qu’il puisse être considéré comme un nuage persistant dans les relations des deux pays.

Au surplus, dans ces relations elles-mêmes il se produit en ce moment un fait qui a son importance, et qui a même été un de ces signes du temps interrogés avec curiosité. La France va être représentée en Angleterre par le maréchal Pélissier, duc de Malakof. M. de Persigny quitte son poste d’ambassadeur à Londres ; c’est le général de l’armée de Crimée qui lui succède. L’ancien ambassadeur a toujours passé pour un défenseur zélé, actif, de l’alliance des deux grandes nations, et les journaux anglais lui rendent encore ce témoignage à l’heure de sa retraite. Si M. de Persigny revient de Londres, où il a représenté la France pendant plusieurs années, ce n’est point sans doute parce que la politique des deux pays est changée. L’ancien ambassadeur a été peut-être entraîné dans la chute de lord Palmerston ; peut-être subit-il le contre-coup des péripéties qui se sont succédé depuis quelque temps, de la situation délicate déterminée par les derniers événemens. Le nom de son successeur était fait pour avoir du retentissement et pour éveiller des impressions diverses. La première de ces impressions, la plus utile, la plus salutaire dans les circonstances actuelles, c’est que le maréchal Pélissier rappelle naturellement tous les souvenirs d’une action commune : il personnifie l’alliance des deux peuples dans ce qu’elle a eu de plus glorieux et de plus décisif. Les Anglais eux-mêmes paraissent juger ainsi cette nomination. Bien loin d’y trouver un sujet d’ombrage, ils voient dans le duc de Malakof le chef de Crimée, le compagnon de leurs soldats, l’homme honoré par la reine des plus hautes distinctions, et ce ne sera point en vérité le fait le moins curieux de voir un soldat manier les souples ressorts de la diplomatie de la main vigoureuse qui a forcé les bastions de Malakof. Le maréchal Pélissier va donc en Angleterre, certain de trouver un accueil dû à ses services, à sa position éminente. Pour le moment, sa fonction est en quelque sorte dans son nom, et ce nom est un appel à la raison intelligente