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déclarer qu’il n’avait jamais eu la pensée qu’on lui prêtait, et il ajoutait que, puisqu’on s’était mépris sur ses véritables intentions, le gouvernement français croyait devoir s’abstenir désormais de prolonger ce débat, s’en rapportant purement et simplement à la loyauté du peuple anglais. C’est donc une difficulté résolue quant à présent, et l’Angleterre est occupée aujourd’hui à prouver, par plusieurs procès poursuivis à la fois, que sa législation pénale est suffisamment efficace.

Ces difficultés écartées, il reste, il est vrai, une autre question qui n’a rien de politique et qui n’a pas moins ému l’Angleterre, de même qu’elle a préoccupé d’autres pays, tels que la Belgique et la Suisse, principalement intéressés dans cette affaire : c’est la question des passeports. Voilà encore un des résultats de l’attentat du 14 janvier. Le gouvernement français, par des considérations de sûreté intérieure, a cru devoir adopter quelques mesures nouvelles, ou plutôt il a fait revivre d’anciens règlemens tombés en désuétude. Il a notamment fait une obligation du visa des passeports à chaque voyage fait par des étrangers en France. On le remarquera facilement, c’est ici un acte d’un caractère tout intérieur, et qui à ce titre est au-dessus de la discussion des gouvernemens étrangers. Aussi n’est-ce point le principe même de cette mesure qui a été mis en cause récemment dans la chambre des communes à Londres et dans la chambre des représentans à Bruxelles. Les dispositions nouvelles n’ont été envisagées qu’au point de vue des relations des étrangers avec la France, comme étant de nature à entraver des rapports incessans de commerce, d’industrie, ou même de plaisir. Beaucoup d’Anglais viennent fréquemment sur les côtes de la Manche, dans les principales villes du littoral, à Boulogne, à Calais, et ils se trouveront gênés dans leurs habitudes ; déjà même on a pu remarquer, à ce qu’il paraît, une diminution du nombre des voyageurs. Du côté de la Belgique et de la Suisse, beaucoup d’ouvriers passent tous les jours la frontière et viennent travailler en France. Enfin, pour tous les voyageurs étrangers venant visiter la France, il y aura un surcroît de formalités et d’obligations au moins gênantes. Or ces formalités seront-elles aussi efficaces pour préserver la France qu’elles seront gênantes pour les étrangers ? Lord Palmerston racontait l’autre jour dans la chambre des communes une petite histoire qui tendrait à jeter quelques doutes sur l’efficacité de règlemens trop minutieusement sévères en ce qui touche les passeports. Il racontait que, se trouvant un jour personnellement dans le midi de la France, il y a longtemps il est vrai, il avait été arrêté et retenu jusqu’à plus ample explication, faute d’avoir fait viser ses passeports. Lord Palmerston était arrêté en France, et récemment Orsini venait à Paris avec un passeport régulier !

C’est là effectivement le danger de ces formalités : les personnes inoffensives risquent d’en être victimes sans y songer, tandis que le coupable réussit le plus souvent à passer à travers les mailles de ce réseau par lequel on prétend l’arrêter. Et la difficulté se transforme presque en impossibilité à une époque où les communications sont si multipliées, où la frontière est à chaque instant envahie par les voyageurs qui se pressent. La surveillance ne risque-t-elle pas d’être illusoire ou trop sévère, si elle est strictement exercée ? N’y a-t-il pas même une sorte d’anomalie dans des mesures jusqu’à