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du Comte Ory qu’on ne supporterait pas dans une ville de province. On n’y trouve ni chanteurs d’élite, qui sont rares partout, ni ce soin scrupuleux dans l’exécution des morceaux d’ensemble qu’on peut toujours obtenir avec de l’intelligence, du goût et une discipline sévère. Il n’est pas rare de voir sur la scène les choristes et les femmes du corps de ballet rire, causer bruyamment et se distraire aux dépens de l’illusion qui doit être le premier objet que doivent se proposer les chefs de service, s’ils avaient assez d’autorité pour se faire obéir d’un personnel aussi nombreux et aussi insubordonné. Un répertoire usé, des chanteurs mal dirigés, des ensembles défectueux, des ouvrages d’une longueur accablante, une poétique qu’il serait temps de renouveler, une succession de tableaux fastidieux qui ne disent rien à l’esprit et au cœur une fantasmagorie continuelle qui vous hébête et vous renvoie abasourdi, tel est le triste plaisir qu’on va chercher à l’Opéra depuis plusieurs années. Ce n’est pas à l’homme d’esprit qui dirige aujourd’hui ce grand établissement qu’il faut attribuer la décadence que nous venons de signaler. M. Royer est probablement dans l’impuissance de mieux faire. Ce qui est incontestable et ce qui frappe les esprits les moins difficiles, c’est que l’Opéra a besoin d’une réforme, et d’une réforme énergique, pour redevenir ce théâtre qui a fait pendant si longtemps l’admiration de l’Europe.

Parlons un peu de l’Opéra-Comique, théâtre heureux qui n’a qu’à ouvrir ses portes pour y attirer tous les soirs une foule empressée. La troupe qui le dessert est médiocre. Il n’y a plus ni ténor, ni basse, ni même un vrai soprano. Ce sont pour la plupart des voix neutres, dépourvues de sexe et de timbre, de ces voix fatiguées et ternies avant la puberté, et que produit en si grand nombre le pavé calciné de Paris. On y chante aussi peu que possible, et c’est ce qui charme le public ; c’est un théâtre populaire où le vaudeville émancipé a contracté il y a une centaine d’années, avec l’ariette d’il signor Duni et de Monsigny, un mariage fécond. De nombreux enfans sont issus de cette alliance de la main gauche, qui étonneraient bien leurs grands parens, s’ils pouvaient en entendre le ramage. Ces enfans bien connus se nomment Grétry, Dalayrac, Méhul, Nicolo, Boïeldieu, Hérold, Adam, M. Auber, le plus fécond et le plus charmant des musiciens français, dont la vieillesse illustre semble s’attrister de ne pas voir naître un successeur à qui il puisse léguer sa houlette enrubanée ; car, il faut bien l’avouer, nous n’avons plus que des compositeurs forts en thème qui chantent à merveille le vainqueur des vainqueurs de la terre, mais qui ne savent pas faire une simple romance qu’on puisse fredonner à ses enfans, en rentrant chez soi, épuisé de fortes émotions. Qui me rendra ma chaumine avec mon léger bateau ? Ce n’est pas M. Gevaërt, musicien fort et belge, qui n’entend pas raillerie, même dans l’opéra-comique en trois actes qu’il vient de donner sous le titre de Quentin Durward.

M. Gevaërt, qui s’est déjà essayé au théâtre, y a produit deux ou trois ouvrages qui lui ont valu la réputation discrète parmi les artistes de compositeur habile, possédant toutes les ressources du métier. Nous lui avons rendu justice dans le temps, en faisant nos réserves sur l’avenir, comme nous l’avions fait à propos de M. Félicien David et de M. Gounod, qui n’ont