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autres, placées à angle droit sur la première et perpendiculaires entre elles, qui avec la première découpent la surface entière du globe en huit quartiers parfaitement égaux. L’un de ces cercles joint le Vésuve à l’Etna, marque la direction des volcans éteints de l’Auvergne, passe non loin de l’Islande, de l’île de Juan Mayen, du mont Saint-Elie, et va couper exactement le volcan de l’île Hawaii et le mont Érèbe, que sir James Clarke Ross vit fumer sous les neiges antarctiques. Le troisième cercle enfin, qui joint l’Etna au pic de Ténériffe, dessine l’axe des volcans de la Méditerranée, passe près de l’Ararat, coupe les îles Moluques et avoisine Java et la Nouvelle-Zélande.

Il n’était pas inutile de montrer qu’en observant les effets de la volcanicité terrestre, on découvre sur le globe des lignes aussi remarquables que celles que révèle l’étude du magnétisme. Toutes les fonctions cosmiques sont assujetties à certaines lois géométriques qui tiennent à la forme même de notre planète. C’est par ce lien que se rattachent tous les phénomènes divers auxquels M. de Humboldt a consacré le quatrième volume de son Cosmos ; il y a décrit la terre à l’état planétaire, il l’a mesurée, pesée, envisagée comme un foyer de chaleur, de magnétisme, et pendant la durée passagère des aurores boréales comme source de lumière ; il ne lui reste plus maintenant qu’à peindre les spectacles variés de la surface terrestre. Le relief des continens, la météorologie terrestre et marine, la géographie des plantes et des animaux, voilà les sujets féconds qui doivent couronner ce grand ouvrage, qui, avant d’être achevé, a déjà pris sa place parmi les monumens scientifiques de notre âge. M. de Humboldt est parvenu à accomplir le projet qui dès l’antiquité avait excité l’ambition de Pline l’Ancien et qu’au XVIIe siècle notre illustre philosophe Descartes avait rêvé d’accomplir, quand il écrivit quelques fragmens qui nous sont restés d’un grand ouvrage qu’il voulait intituler le Monde. Si l’on compare l’œuvre de M. de Humboldt aux encyclopédies scientifiques des siècles précédens, on y trouvera, au lieu d’arides et minutieuses descriptions, de riches nomenclatures, des aperçus profonds et généraux, des peintures grandioses, le sentiment ému de la nature prêtant un charme particulier aux considérations les plus techniques. Le Cosmos effacera d’un grand nombre d’esprits chagrins et prévenus cette singulière pensée que la poursuite des vérités scientifiques ne peut s’allier à un sentiment poétique élevé. Personne ne songe à nier que la contemplation du monde extérieur ne soit pour l’âme une source intarissable de joies aussi pures que profondes ; mais pourquoi supposer qu’elles s’affaiblissent, quand l’esprit découvre les rouages qui mettent en mouvement les diverses parties de l’univers et les lois qui en assurent la stabilité ? Par une singulière contradiction, ceux qui affectent de redouter que la science ne dépouille la nature de ses charmes appartiennent aux écoles philosophiques qui se posent en ennemies du matérialisme : la contemplation non raisonnée de la nature n’est pourtant autre chose qu’une simple sensation. Le spectacle de l’univers n’éveille dans l’âme des émotions d’un ordre supérieur que quand la raison est en état de comprendre l’ordre universel. La science resserre les liens entre le monde physique et l’intelligence où il se reflète, elle jette ainsi les fondemens d’une vraie philosophie de la nature.


AUGUSTE LAUGEL.