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— Il dit, baise l’oiseau, pleure, et bientôt sans bruit
Djérid, le long des flots, disparaît dans la nuit.


EPILOGUE


O Bosphore ! il est doux sur tes rives fleuries,
À l’ombre d’un platane aux longs rameaux mouvans,
Devant ton horizon tout peuplé de féeries,
De suivre du regard le vol des elkovans,
En se laissant bercer de vagues rêveries.
Le flot passe entraînant la pensée et les yeux,
Et les flots et les jours glissent silencieux.

La vie est sur ces bords pour l’âme languissante
Un doux rêve sans fin que l’on fait éveillé.
Devant cette splendeur de ciel éblouissante,
Ces flots et ces palais, l’œil reste émerveillé.
Mais l’esprit cherche l’art et la pensée absente,
Et, rossignol captif dans une cage d’or,
Pleure son ciel natal, l’air libre et son essor.

Il ne faut plus rêver ! il faut penser et vivre
En laissant sur la terre un sillon mieux rempli.
Il faut aimer la gloire et les cœurs qu’elle enivre,
Arracher un lambeau de ses jours à l’oubli,
Faire vibrer son cœur comme un clairon de cuivre,
Et, lévite fervent du culte épars du beau,
Se faire encore aimer par-delà le tombeau !

O muse ! il faut surtout vous aimer sans mélange,
Vous qui séchez nos pleurs de vos ailes de feu,
Qui nous faites planer au-dessus de la fange
Et soulever le bord de la robe de Dieu ;
Déesse d’autrefois devenue un archange,
Vous dont la douce voix guida mes premiers pas,
Au milieu du chemin ne m’abandonnez pas !

Jusqu’au jour où ma vie achèvera sa trame,
Laissez-moi le bonheur, à vos lointains accords,
D’essayer de saisir les rêves de mon âme,
Et, suivant vos leçons, de leur donner un corps,
Impalpable tissu de musique et de flamme,
Et, comme ces dieux grecs taillés dans le paros,
Arraché pour jamais aux flancs noirs du Chaos.

Ah ! créer ! Volupté divine, doux mystère,
Où l’âme se dédouble, à l’image de Dieu,