Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 14.djvu/703

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Comme le poids d’un pas qui presse le gravier,
Et le son étouffé d’une marche discrète.
— Non, répondait Djérid, c ! est quelque fruit trop lourd
Qui tombe dans l’allée et qui fait ce bruit sourd. »

Elle disait encor : « Je viens de voir dans l’ombre
Les rameaux de cet if s’écarter en tremblant.
Soyons prudens, Djérid, nos périls sont sans nombre :
Peut-être est-ce l’eunuque au sommeil vigilant
Qui nous cherche, et sur nous jetait un regard sombre.
— Non, répondait Djérid, c’est quelque oiseau furtif
Dont le vol a ployé les branches de cet if. »

Elle disait enfin : « Dans le fond de l’allée
Je viens de voir glisser de rapides flambeaux
Dont on dissimulait la lumière voilée.
Peut-être est-ce Ghalib, suivi de ses bourreaux,
Qui vient punir ici notre amour décelée… ?
— Non, répondait Djérid, tu te trompes encor,
Ce sont les feux errans des lucioles d’or. »

Il ajoutait : « Pourquoi dans cette nuit si brève
M’envier les instans d’un bonheur aussi doux ?
Pourquoi par ces terreurs effaroucher ce rêve
Dont le Prophète au ciel pourrait être jaloux ?
Laisse-moi savourer ces délices sans trêve !
Qui sait ce que les jours apportent avec eux ?
Nous sera-t-il permis encore d’être heureux ? »

Jamais ! — Il achevait ces derniers mots à peine
Qu’Aïna pousse un cri terrible. — On fond sur eux.
Djérid comme un lion s’élance et se démène ;
Mais dix bras ont dompté ses deux bras vigoureux.
Il tombe, il faut céder ; la résistance est vaine.
Terrassé, tout meurtri, l’Arnaute est garrotté,
Et la pâle Aïna sanglote à son côté.

Bientôt Ghalib paraît. « Approchez la lumière,
Dit le vieillard, je veux voir les audacieux. »
On apporte un flambeau ; sans baisser la paupière,
Djérid sous ses regards reste silencieux.
Il garde sans pâlir son attitude fière.
Ghalib lève le bras pour le faire périr.
« Non, qu’il vive ! Il aura plus longtemps à souffrir. »