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« Ah ! se disait tout bas Aïna qui soupire
En marchant à pas lents sous les mûriers en fleur,
Ah ! pourquoi ces parfums, cette nuit, ce zéphyre,
Et cet oiseau plaintif qui chante sa douleur,
N’ont-ils rien qu’une chose, une seule à me dire ?
Ah ! pourquoi donc, la nuit encor plus que le jour,
L’air, la terre et le ciel, tout parle-t-il d’amour ?

« Qu’il serait doux d’errer ainsi dans la nuit sombre !
Mais non plus seule, au bras d’un mortel adoré :
De suivre du regard les étoiles sans nombre,
Et de sentir son cœur sur mon cœur enivré !
Ah ! pour ce seul moment d’ivresse à deux dans l’ombre,
À la pâle lueur des célestes flambeaux,
Je donnerais ma part des soleils les plus beaux !

« O Djérid ! que fais-tu ? Ta pensée inquiète
Te tient-elle éveillé comme moi dans la nuit ?
Ah ! puisses-tu trouver au fond de ta retraite
L’oubli… non !… le repos, le repos qui me fuit !
Mais a-t-il même un toit pour abriter sa tête ?
Hélas ! peut-être il dort sous les murs du jardin
Où je l’ai vu s’asseoir et chanter ce matin ! »

Il serait là, tout près ! — Cette seule pensée
L’épouvante, et redouble à la fois ses désirs.
Elle veut s’éloigner ; sa poitrine oppressée
Se soulève et retient à peine ses soupirs.
— Soudain le massif s’ouvre ; une forme élancée
Paraît, vole et s’incline, — et ses yeux effrayés
Reconnaissent Djérid à genoux à ses pieds.

« Oui, murmure Djérid, c’est moi, c’est ton esclave !
Jette un cri, les bourreaux seront les bienvenus !
Va, quel que soit l’excès des tourmens, je les brave,
Puisque j’ai pu baiser un instant tes pieds nus ! »
— Elle ne répond pas ; son corps chaste et suave
S’affaisse lentement comme un lis incliné,
Et tombe entre les bras de Djérid prosterné. —

Lorsqu’Aïna rouvrit à la nuit sa paupière,
Djérid tenait sa tête appuyée à son sein.
Le gazon leur servait de couche printanière.
À deux pas, un jet d’eau chantait dans son bassin,
Et sous les longs rameaux de la verte clairière