Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 14.djvu/695

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Une langueur secrète, un feu lent la rongeait.
— Vous savez maintenant pourquoi ce cœur songeait.

Ce qu’elle désirait, c’était surtout une âme.
Sans doute un beau visage était doux à ses yeux ;
Mais plus qu’un fourreau d’or elle prisait la lame.
Par bonheur, elle avait l’esprit peu curieux,
Elle ne cherchait pas. C’est étrange ! une femme !
Une Turque surtout ! dira-t-on. Et vraiment
Je ne puis me fâcher de cet étonnement.

Mais peut-on s’étonner encor de quelque chose ?
Tout n’arrive-t-il point ici-bas de nos jours ?
Pourquoi donc Aïna, belle comme une rose,
Réservant le trésor de ses pures amours,
N’attendrait-elle pas dans une chaste pose,
Qu’un bulbul descendît du ciel à son côté
Pour chanter ses parfums, sa grâce et sa beauté ?

Pourtant, je dois le dire, elle était mariée.
Ghalib, le vieux pacha qui règne à l’arsenal,
Pour orner son harem à son sort l’a liée.
Cet hymen au surplus n’était pas un grand mal,
Car dès le premier jour il l’avait oubliée.
Ainsi dans son éclat sa naissante beauté,
Comme une pêche en fleur, gardait son velouté.

Aïna rêvait donc ; mais à quoi rêvait-elle ?
Ah ! qui peut prendre au vol des rêves de seize ans ?
Quel poète dira ce que l’âme immortelle
Peut éprouver d’extase à l’aube de ses sens ?
O jeunesse du cœur ! vous êtes la plus belle
Des muses d’ici-bas, et nulle des neuf sœurs
De vos songes dorés ne rendra les douceurs !

Le soleil se couchait derrière les collines,
Et jetait à la terre un long regard d’amour.
La brise, en se jouant sur les vagues mutines,
Y semait les parfums des jardins d’alentour.
Aïna, le cœur plein d’émotions divines,
Comme un luth frémissant que l’on vient d’accorder,
D’harmonie et d’amour se sentait déborder.

Longtemps, comme obsédé de visions secrètes,
Son regard se perdit à l’horizon lointain,
L’horizon, ce pays des âmes inquiètes !