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L’âme est comme un enfant : elle aime être bercée ;
Elle regrette l’air et ses ailes d’oiseau.
Dans sa prison d’argile elle meurt oppressée,
Si l’on ne vient parfois soulever un barreau
Pour donner libre essor à l’ardente pensée.
Quand il a quelque temps plané sur l’horizon,
Hélas ! l’oiseau revient bien vite à sa prison.

Des trois êtres bercés au branle du caïque,
Un seul rêvait pourtant. Chacun ne rêve pas.
Ce n’est pas tout d’avoir un air mélancolique,
De regarder le ciel ou de chanter tout bas.
Il faut avoir dans l’âme un rhythme, une musique
Qui soutienne l’esprit, le soulève du sol,
Et même dans la nue en cadence le vol.

Le jeune caïdji, profitant de la trêve,
S’était mis à fumer son tchibouk de jasmin.
Un fumeur rêve mal ; pourtant il croit qu’il rêve.
Toujours quelque détail l’arrête en son chemin :
Son feu meurt-il, soudain la bulle aux songes crève !
— Pour Ghuzelli, l’enfant, loin de rêver sans fin,
Regardait en riant les plongeons d’un dauphin

J’ai peur de dire ici la vérité sans voile,
Mais Ghuzelli manquait de ce charme énervant
Qui fait que l’on s’éprend d’une lointaine étoile,
Ou qu’on écoute en pleurs les longs soupirs du vent.
En revanche, jamais sur le marbre ou la toile,
Plus suave beauté, charmes plus radieux,
N’avaient ébloui l’âme en enchantant les yeux.

Mais laissons Ghuzelli ; ce n’est pas là mon thème.
D’ailleurs elle n’est pas mon héroïne au fond.
C’est Aïna, sa sœur, la rêveuse, que j’aime,
Et je veux vous ouvrir ce cœur calme et profond,
Pour le montrer au jour dans sa beauté suprême
Le monde a désappris de plier les genoux,
— Et pourtant admirer est un bonheur si doux !

C’était un cœur naïf et fier dans sa tendresse,
Plein de feu, ferme et pur comme le diamant ;
Mais ce trésor d’amour, de grâce et de jeunesse,
Se consumait dans l’ombre et dans isolement.
Sous les dehors rêveurs d’une douce paresse