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et ses prototypes ; il l’est par la cabale et par les quatre ou cinq âmes dont elle dotait les choses, en particulier par cette âme de la figure visible, qui, suivant les cabalistes, descendait dans les corps pour y devenir la cause efficiente de leur physionomie. Il examine (en se décidant, il est vrai, pour la négative) si les diverses parties du corps des géniteurs ne fournissent pas chacune au germe l’idée (la virtualité) de leur forme partielle, pour composer ainsi une virtualité totale, ou, en d’autres termes, une délégation complète qui donne au germe la vertu de reproduire le corps entier. De là à la philosophie alchimique, ou du moins au dogme des germes et de l’œuf[1], il

  1. M. Figuier a raconté dans un ouvrage récent la faveur dont l’alchimie jouissait au XVIIe siècle, et l’alchimie, comme il le rappelle, ne consistait pas exclusivement dans la croyance à la pierre philosophale ; c’était aussi une théorie qui embrassait l’ensemble des phénomènes, et qui tendait à expliquer non-seulement la génération des métaux, mais encore celle des autres corps par des semences et un embryon, par la conjonction de deux principes contraires. La palingénésie me semble une doctrine importante de l’école hermétique, une de celles qui laissent percer le plus clairement l’esprit de cette philosophie générale. Pour en donner une idée, je ne puis mieux faire que de citer I. Disraeli, qui aimait et sentait vivement ces rêveries et ces magies de la science au berceau : « Il n’y eut jamais plus belle vision scientifique que cette exquise palingénésie, ainsi nommée de deux mots grecs, cette régénération des plantes et des animaux, ou plutôt cette évocation de leurs ombres. Schott, Kircher, Gaffarel, Borelli, Digby et toute leur admirable école découvraient dans les cendres des plantes leur forme primitive ressuscitée par la force de la chaleur. Rien, disaient-ils, ne périt dans la nature ; tout n’est qu’une continuation ou une renaissance ; les semences d’une résurrection sont cachées dans les restes des corps détruits comme dans le sang de l’homme : les cendres des roses peuvent se ranimer, et il en sortira des roses ; elles seront plus petites et plus pâles que si elles avaient germé ; sans odeur et sans substance, elles ne seront pas les fleurs qui poussent sur le rosier, mais seulement leurs délicats fantômes, et, comme des fantômes, elles ne se laisseront voir qu’un instant. La manière dont s’accomplit la palingénésie, cette image de l’immortalité, est décrite de la sorte : Après avoir brûlé une rose, on dégageait par la calcination les sels de ses cendres, puis ces mêmes sels étaient placés dans une cornue de verre, où on les soumettait à l’action d’un mélange chimique jusqu’à ce qu’ils eussent pris, en fermentant, une teinte bleuâtre et spectrale. De cette poussière ainsi excitée par la chaleur surgit de nouveau la forme primitive. Par sympathie, les parties se rejoignent, et tandis que chacune reprend sa place prédestinée, on voit distinctement reparaître la tige, les feuilles et la fleur. C’est le spectre d’une plante sortant lentement de ses cendres. La chaleur se dissipe, l’apparition s’efface, et toute la matière retombe dans le chaos au fond du vase. »
    Pour les revenans des animaux, la palingénésie avait aussi son explication toute prête, comme le même écrivain nous le dira dans cet autre passage : « Ainsi les morts revivent naturellement, et un cadavre, pourvu qu’il ne soit pas enterré trop profondément, peut laisser échapper son ombre. On a vu revenir des corps déjà corrompus dans leur tombe, surtout des corps de personnes assassinées, car l’assassin est sujet à enterrer sa victime à la hâte et imparfaitement. Leurs sels, exhalés en vapeur par suite de la fermentation, se sont coordonnés derechef à la surface de la terre, et ils ont formé ces fantômes dont les passans, la nuit, ont été si souvent épouvantés, comme l’histoire authentique en fait foi. Aussi, pendant les premières nuits qui suivent une bataille, il est étonnant combien on peut voir de spectres debout sur leur cadavre. »