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de Vénus. Dans la congélation des liquides placés sur un bain de sel et de neige, il ne sait pas que c’est le calorique du liquide qui en est soustrait ; il pense plutôt que ce sont les esprits congélateurs de la neige qui s’en échappent pour aller congeler le corps voisin.

Dans toute sa chimie d’ailleurs, il a beau rendre un compte fidèle des opérations de la nature : sous ses faits les mieux constatés, on entrevoit encore, comme des cailloux au fond de l’eau, maints débris des théories primitives. Il n’est pas bien émancipé de cette métaphysique venue des Grecs qui inclinait à ne reconnaître que quatre essences, parce qu’il n’y a pour nous que quatre apparences principales, l’air, le feu, la terre et l’eau, et qui se bornait quelque peu à concevoir les actions des corps à l’instar des actes de l’homme, et la constitution des substances à l’image de celle des maisons, qui sont faites de moellons unis par un ciment, le tout suivant un plan exécuté par une volonté. On dirait parfois qu’il se représente chaque forme d’effet comme l’œuvre d’un agent unique dont le propre est de façonner ce produit. Parfois encore il semble admettre que, pour chaque espèce de réalités, il existe des élémens spécialement destinés à lui servir de matière et une force plastique appelée tout exprès à l’organiser avec cette matière. Au moins est-il tenté de supposer que les parties constituantes des corps y gardent une manière de quant-à-soi et d’individualité inaltérable, que la combustion ne fait que dégager les esprits volatils et les principes humides, qui s’envolent avec leur nature intacte, et que les cendres qui restent nous donnent les parties terreuses telles qu’elles étaient dans le composé. En un mot, l’idée des combinaisons, et surtout des combinaisons qu’entraîne l’invasion d’un nouvel élément, n’est pas nette dans son esprit, et cela seul le condamne à recourir au vocabulaire du passé, à se figurer les propriétés des choses sous l’image d’une volonté ou d’une affection qui les anime, à parler d’elles comme si toute matière aspirait par amour vers une manière d’être où était sa fin et pour ainsi dire son hôtellerie. Au fond, il ne croit pas à ces théories ; le plus souvent il ne les admet que dans sa nomenclature ; pourtant il n’en est pas non plus entièrement détaché : faute de rien avoir à mettre à leur place, il y est ramené à chaque instant par la force du vide.

On n’aurait jamais fini du reste si l’on voulait relever ainsi toutes les idées chimériques qui, sans être positivement ses croyances, montrent plus ou moins leurs silhouettes à l’arrière-plan de son esprit. Browne s’obstine tellement à contempler le mystère de la génération des plantes et des animaux, que ses yeux s’emplissent de nuages et d’hallucinations érudites. Il est poursuivi par Platon