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poids, si elles produisent des effets visibles et réels par des émissions invisibles et impondérables, il serait injuste de nier l’efficacité possible de l’or par la seule raison qu’il sort du corps sans avoir perdu aucune parcelle pondérable. »

N’oublions pas toutefois qu’à cette époque on n’avait pas conçu les espèces d’agens qui s’appellent pour nous électricité ou calorique, et que l’amulette était, parmi toutes les notions conçues, celle qui embrassait le plus naturellement les actions de ces forces physiques, Nos corsets et nos chaînes galvaniques ressemblent on ne peut plus aux talismans comme les comprenait le XVIIe siècle, avec sa théurgie moitié rationaliste.

Ce que j’en dis du reste n’est point pour laver Browne de toute interprétation moins légitime du mot, ni pour le présenter en général comme exempt d’illusions : cela serait fort éloigné de la vérité. On allongerait beaucoup la liste des erreurs qu’il a cherché à extirper si on y ajoutait toutes celles dont il n’avait pas réussi à se défaire lui-même. Ainsi, avec Bacon et bien d’autres, il ne veut pas admettre que le gui se propage par semence ; il en fait « une excroissance arborale ou plutôt une supravégétation, issue d’une sève visqueuse et superflue, et qui, en conséquence, ne pousse pas suivant la forme (le type) de l’arbre dont elle procède, mais bien suivant une autre forme qui réside secondairement dans la sève. » Cela se rattache chez lui à une conviction plus générale qui, par rapport à ses habitudes, est fort affirmative. Il a foi aux générations équivoques ou putrides ; il est persuadé que le taureau corrompu se change en abeilles et le cheval en frelons ; il fait mention des poux qui s’engendrent des humeurs viciées de l’homme, et quoiqu’il conteste les souris qu’on fait avec du blé, comme van Helmont en donne la recette, il déclare gravement que, outre les grenouilles ordinaires, il en est d’autres qui proviennent d’une putréfaction et qu’on nomme temporariœ, en raison de leur courte existence. Bref, la génération par corruption[1] est à ses yeux un des moyens réguliers employés par

  1. Il est curieux de voir combien de raison et de réflexion il a dépensé pour donner à cette théorie un caractère scientifique et pour fixer les lois d’après lesquelles la pourriture engendre. À propos du phénix, qui, disait-on, se putréfiait d’abord pour se convertir en un ver qui plus tard devenait un phénix, il s’indigne contre ceux qui mettent le désordre dans la nature et le chaos dans la philosophie en assimilant les générations putrides aux naissances séminales, et en supposant dans les effets équivoques une conformité univoque avec leur cause efficiente. « S’il y a, dit-il, un grand nombre d’animaux qui sont vermipares et qui se reproduisent à distance et en quelque sorte de seconde main, comme les papillons, l’enfantement dans ce cas ne sort pas d’une corruption, mais bien d’un germe spécifique qui garde en lui l’idée de l’original, bien que pour un temps il joue son rôle sous d’autres formes ; mais que par putréfaction un être puisse reproduire son semblable, c’est ce qu’il serait malaisé de montrer. Ce serait là une confusion des générations par semence et par corruption, et un attentat contre la vertu séminale qui a été confiée aux animaux lors de la création. On n’aurait plus que faire du problème : pourquoi n’aimons-nous pas notre vermine autant que nos enfans ? Et l’arche de Noé eût été superflue ; la tombe des animaux eût été la matrice la plus féconde ; la mort, au lieu de détruire, n’aurait fait que repeupler le monde. »