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être entrés sous forme de simples matériaux, sortent avec un ensemble d’organes déterminés et avec le souffle parfait de la vie. Celui qui considère du dehors ces transformations ne peut s’empêcher d’imaginer qu’il a dû se passer au dedans d’étonnantes opérations. Les contempler serait un spectacle qui vaudrait presque qu’on le payât de sa vie, un spectacle au-dessus de tout ce qui s’est vu et de tout ce qui eût jamais pu se voir, à moins que l’homme n’eût été créé en premier et n’eût pu assister aux créations des cinq autres jours. »


Mais, d’un autre côté, nul n’est plus opposé que lui à l’imagination ou au raisonnement intempestifs qui commencent à expliquer avant d’avoir constaté, et qui font intervenir les causes finales qu’ils supposent pour prononcer les yeux fermés sur les faits qui existent. Voici ce qu’il écrit à propos des nègres et de la facile physiologie qui rendait compte de leur couleur en la présentant comme l’effet d’un châtiment céleste.


« C’est une méthode très préjudiciable à la science et un perpétuel encouragement à l’ignorance que d’en finir vite sur les points qui restent obscurs, et qui ne se prêtent pas à une solution immédiate en allant se réfugier dans les miracles ou en recourant à une intervention directe des mains inscrutables de Dieu. C’est ainsi que, pour la mauvaise odeur qui est attribuée aux Juifs, les chrétiens, sans informer sur la vérité du fait et sans nulle investigation des causes, ont sous la main une condamnation ad hoc qu’ils tirent de la passion du Sauveur. De même encore, touchant les étonnans effets du climat de l’Irlande et l’absence de tout animal venimeux sur son sol, la crédulité du préjugé vulgaire attribue cette immunité à la bénédiction de saint Patrick, comme Bede et Gyraldus l’ont rapporté. Ainsi de nouveau, l’âne ayant sur le dos une sorte de croix formée par une bande noire qui lui parcourt l’échine et par une autre barre qui descend transversalement ou à angle droit sur ses deux épaules, l’opinion commune explique cette figure comme un signe particulier de distinction que l’animal a reçu pour avoir eu l’honneur de porter notre Sauveur. Certainement c’est là un procédé encore plus désespéré que le recours aux sympathies ou aux qualités occultes ; car, dans ce cas, nous nous permettons, par un acte de foi final et péremptoire, de rejeter sur la cause première et générale de toute chose un des effets ultimes et particuliers, tandis que, dans le cas des qualités secrètes, nous nous contentons de pallier les jugemens incomplets où nous nous arrêtons, en attendant que nos efforts, poussés plus loin, effacent totalement ou résolvent en partie leurs réticences évasives. »


Assurément il y a beaucoup de sagesse dans toutes les paroles que nous venons d’entendre, et, chose plus importante, ce ne sont pas là seulement des vérités que Browne a eu la raison de reconnaître, c’est l’expression littérale de ce qu’il fait, même de ce qu’il fait sans le vouloir et par suite de ses seuls penchans. La procédure qu’il suit toutes les fois que le sujet le permet (et par exemple