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d’esprit que nous portons en nous, il ne montre pas moins de perspicacité, quoiqu’ici encore il ne sache pas se concentrer. Tandis que Bacon résume dans un nerveux axiome une multitude d’observations faites sur le vif, lui, il suit volontiers la nomenclature des formes d’erreur qui ont reçu un nom dans les écoles, et son expérience comme ses réflexions s’énoncent plutôt par fragmens et en manière de glose. En somme, il n’y a rien chez lui qui soit à beaucoup près aussi fort et aussi complet que le génie intellectuel de Bacon, et pourtant la comparaison n’est pas toute à son désavantage. Il a aussi sa largeur particulière ; c’est un instrument capricieux, et dont les cordes ne vibrent que successivement, mais c’est un riche instrument, qui rend certains sons qu’on entend mal chez l’auteur des Essais et du Novum Organon. La science qui enseigne à l’homme l’art de réussir le préoccupe moins exclusivement. Il a une grande élévation morale, il a des bouffées de pur enthousiasme ; il a encore je ne sais quoi d’instinctif et d’involontaire qui lui donne une indicible grâce comme celle des mouvemens de l’enfance. Ses pensées sont pour ainsi dire agitées par un jeu constant d’impressions et d’inspirations naïves.

Le second livre de la Pseudodoxia s’ouvre par deux dissertations où l’auteur touche à des questions de haute chimie et de haute physique. Dans l’une, il combat l’opinion encore accréditée qui regardait le cristal comme de l’eau cristallisée ; dans l’autre, il traite, et avec des connaissances fort exactes, de l’aimant et du magnétisme terrestre. Il n’est pas seulement au courant de tout ce qu’on savait alors sur les deux mouvemens de l’aiguille aimantée, sur l’aimantation naturelle du fer, sur les modifications que subissent ses propriétés magnétiques quand on le chauffe ou qu’on le refroidit de diverses manières : il est encore à même de fournir quelques documens nouveaux qu’il doit à ses propres expériences, et ce qui n’est pas moins digne de remarque, il a la sagesse de s’en tenir à constater les faits sans hasarder aucune hypothèse sur les causes. Un autre intérêt de ce chapitre, c’est que, grâce à l’érudition de Browne, il renferme en abrégé l’histoire universelle des fausses suppositions auxquelles l’aimant a donné lieu, si bien qu’on y peut distinguer, comme dans un tableau synoptique, la manière dont se développe l’erreur. Les hommes avaient observé un fait inexplicable pour eux ; de cette donnée vraie nous voyons sortir des interprétations enfantant elles-mêmes des rameaux sur lesquels poussent des végétations parasites. La sensibilité que possède le fer est d’abord attribuée à l’argent et à divers métaux ; bientôt elle s’étend jusqu’aux cendres des plantes qui ont poussé sur des mines d’or, de mercure ou de tout autre métal. Une fois qu’elle en est là, arrive Michel Sundevogis,