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LA POÉSIE GRECQUE DANS LES ÎLES-IONIENNES.

vail d’assimilation devait être neutralisé par des causes à la fois religieuses et politiques.

Le clergé grec s’est toujours montré aussi attaché à la nationalité hellénique que les prêtres italiens le sont peu à leur patrie. La cause nationale était pour lui la cause même de Dieu. Sur le continent, les prêtres grecs avaient une profonde horreur de la domination étrangère, qui consacrait le triomphe du croissant sur la croix. Dans les Iles-Ioniennes, le protectorat anglais ne leur était guère moins suspect. Quoique l’église anglicane reconnaisse l’épiscopat comme la nôtre, qu’elle repousse la papauté aussi énergiquement que nous, elle voit de très mauvais œil le culte de la Vierge et des saints, qui inspire aux Orientaux un véritable enthousiasme. La propagande des sociétés bibliques, que les « protecteurs » favorisaient, acheva d’irriter des esprits qui les considéraient comme les agens d’un pouvoir envahissant. Dès 1815, les montagnards de Santa-Maura se précipitaient sur les troupes britanniques ; mais cette insurrection ayant été réprimée et plusieurs insulaires étant morts sur le gibet, ces mouvemens populaires auraient pu s’apaiser, si la révolution de 1821 n’avait point éclaté dans la Grèce continentale.

Cette année 1821 excita dans les races latine et hellénique une fermentation générale. Le chef de paysans Vladimiresco entra à Bucharest à la tête des bandes rangées sous ses ordres. Naples, le Piémont, l’Espagne, renversèrent leurs monarques absolus. En France, le gouvernement de Louis XVIII, menacé par les conspirations militaires qui semblaient renaître de leur cendre, courut de grands dangers. L’agitation des populations grecques gagna les îles de la Mer-Ionienne. Les insulaires n’avaient pas oublié les chants patriotiques de Rhigas le Libérateur. Livré aux Turcs par les Autrichiens et noyé dans le Danube (1798), cet intrépide Hellène avait légué aux Grecs le soin de sa vengeance. Trois hommes obscurs se chargèrent de cette tâche périlleuse en fondant à Constantinople (octobre 1815) l’Hétérie amicale. Skouphas, Xanthos et Dikeos[1] propagèrent rapidement leur société secrète, qui ne tarda pas à compter dans les Iles-Ioniennes beaucoup d’affiliés très ardens[2]. L’autorité anglaise recourut en vain à des lois draconiennes pour comprimer cet élan. Plusieurs Ioniens laissèrent confisquer leurs biens et volèrent au secours de la Grèce ; Byron, mieux inspiré que les « lords hauts-commissaires, » représentait dans leurs rangs le véritable génie de la libre Angleterre. Le chantre de Childe-Harold combattait et mourait à Missolonghi pour cette nation dont le gou-

  1. L’archimandrite Dikeos joua plus tard un rôle actif dans l’insurrection sous le nom de Papa-Phléchas.
  2. Voyez Tricoupis, Ἱστορία τῆς Ἑλληνιϰῆς ἐπαναστάσεως (Historia tês Hellênikês epanastaseôs).