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il aime autant qu’eux le bonheur de concevoir et de créer des idées, mais il a un autre besoin qui creuse un abîme entre lui et l’école du passé : il a la soif de la vérité. S’il étudie la nature, ce n’est point dans l’intention de se livrer et de s’arrêter aux pensées les plus attrayantes qu’elle pourra lui suggérer, c’est vraiment pour voir de son mieux. Non qu’il soit un observateur modèle : il est plutôt un collectionneur de faits ; mais son observation est singulièrement patiente et impartiale. Il est sans pitié pour ses peines, sans faiblesse pour ses penchans ; il ne s’inquiète pas si une chose peut lui paraître évidemment fausse ou évidemment vraie : en dépit de toute vraisemblance et de toute invraisemblance, il veut essayer ce qui en est. Je lui laisserai raconter à lui-même une de ses expériences ; il y est question des aiguilles sympathiques, c’est-à-dire d’une télégraphie magique que l’on croyait pouvoir établir au moyen de deux espèces de boussoles ayant des aiguilles touchées sur le même aimant et portant à leur circonférence les lettres de l’alphabet. « La tradition, dit Browne, prétendait que deux personnes munies de pareils cadrans n’avaient qu’à fixer une heure pour correspondre, et que si l’une d’elles dirigeait son aiguille vers une lettre, l’autre aiguille, à n’importe quelle distance, allait d’elle-même se placer sur la même lettre ; mais en cela j’avoue que mon expérience n’a pu découvrir aucune vérité, car, ayant façonné tout exprès deux cercles de bois et les ayant divisés, suivant le nombre des lettres latines, en vingt-trois degrés ; ayant ensuite placé au centre deux aiguilles tirées du même acier et touchées sur le même aimant, et au même point, j’ai eu beau conduire l’un des styles sur une lettre de son cadran, le second style, même à la petite distance d’un demi-empan, n’a pas cessé de demeurer aussi fixe que les piliers d’Hercule. » A quoi l’auteur ajoute une réflexion qui n’est pas moins caractéristique, c’est que « quand même la propriété eût été vraie, elle n’eût pas été au service de tout le monde, car ce n’est pas une simple affaire d’almanach, mais bien un problème mathématique que de trouver la différence des heures en des lieux différens. »


III

Cette existence si laborieusement dévouée à l’étude des livres et à l’étude des faits ne tarda pas à produire de nouveaux fruits. En 1646, — trois ans après la publication de la Religio medici, — Browne fit paraître ses Recherches sur un grand nombre d’opinions reçues et de vérités présumées qui se trouvent, après examen, n’être que des erreurs vulgaires et communes. Et ce qui peint bien sa position