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et y avait fait des remarques singulières portant sur des points qui échappent aux lecteurs ordinaires. »


Whitefoot n’exagère en rien, et ses Minutes demanderaient plutôt à être complétées ; elles suffisent à peine pour mettre en lumière toute une moitié de cette infatigable activité. Browne, outre ses ouvrages destinés au public, a laissé un journal qu’il tenait pour lui-même, un recueil d’extraits et suggestions, et c’est là qu’il faut le voir à l’œuvre. Il serait difficile de dire vers quels points des espaces réels et imaginaires il ne voyage pas dans ces pages. — Les relations historiques sur l’influence des anniversaires, et la raison des petits trous que les bichons ont sur le crâne en dehors des sutures ; les pierres précieuses qui guérissent au simple toucher les yeux malades, et le sens des lustrations où les Romains, lors des Palilia, employaient du sang de cheval mêlé à des fanes de fèves et aux cendres d’un veau pris dans le ventre de sa mère ; rechercher pourquoi, dans la Genèse, le second jour de la création n’est pas béni comme les autres, et savoir si on doit l’attribuer à un mystère numérique, à l’imperfection du nombre deux, qui est le premier écart en dehors de l’unité ; — toutes ces questions et bien d’autres encore, sans parler de sujets plus sérieux, arrêtent tour à tour le médecin de Norwich, et sur toutes il est clair qu’il a beaucoup réfléchi, quoiqu’il aboutisse régulièrement à un point d’interrogation et à un : « C’est douteux ! » Mais ces notes, et en général toutes celles qui sont inspirées par des lectures ou des cogitations, ne forment que la broderie du journal. Le corps du recueil est composé de remarques et de mémentos qui ont une origine entièrement différente. On croirait que deux personnes ont tour à tour tenu la plume. Browne est un dévoreur de livres comme les Cardan et les Scaliger, et il est en outre un homme de laboratoire qui annonce le savant moderne. Malgré ses goûts de cabinet, il ne craint pas de mettre la main à la pâte des expériences, et sans perdre de vue ses doctes spéculations, il est capable de donner son attention aux boîtes et aux creusets où il poursuit des recherches pratiques qui durent parfois des années. Il dissèque des animaux et des végétaux, il établit un jardin botanique, il imagine de mesurer l’humidité de l’air au moyen d’une éponge placée sur une balance d’or ; il enregistre minutieusement quelles plantes il est parvenu à faire vivre dans l’eau avec ou sans leurs racines, à quel moment il les avait coupées ou arrachées, si elles ont fleuri et porté des semences, et si ces semences ont été fécondes. Puis il lui vient une idée de génie : il se demande « si une eau colorée par une teinture ne pourrait pas transmettre une nuance à la plante qui se trouve réduite à ce seul aliment ; si, par un procédé analogue, il ne