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personnellement et indubitablement, avait vu transmuter en or et en argent les métaux vils. » Sans avoir montré non plus qu’il crût au don royal de guérir les écrouelles, il nous apprend par ses lettres qu’il donnait souvent des certificats d’humeurs froides à ceux qui voulaient se faire toucher. Charles II, suivant le témoignage d’un de ses médecins ordinaires, John Browne, ne toucha pas moins de quatre-vingt-douze mille cent sept personnes de 1660 à 1683. Ce détail peint bien, à mon sens, la position d’observateur que le médecin de Norwich aimait à garder vis-à-vis de toutes les hypothèses et de toutes les traditions du passé.

Quelles étaient d’ailleurs les occupations et les études qu’il trouvait moyen de concilier avec les fatigues de sa profession ? Un de ses amis va nous le dire : c’est le révérend John Whitefoot, qui « tenait pour une faveur spéciale de la Providence d’avoir pu le connaître intimement pendant les deux tiers de sa vie, » et qui, après la mort de Browne, a recueilli, sur la prière de sa veuve, les souvenirs de cette longue familiarité. Ses Minutes, comme il les appelle, offrent une si curieuse combinaison de bonne foi et de rhétorique surannée, elles paraissent si délicieusement embarrassées entre la crainte de manquer à la vérité et la peur de manquer aux belles convenances du langage et aux majestés de l’érudition, que je me garderai bien de ne pas les citer textuellement :


« L’horizon de son intelligence dépassait de beaucoup en étendue notre hémisphère du monde. Il comprenait si bien tout ce qui est visible dans les cieux, que sous leur voûte on eût trouvé peu d’hommes qui en fussent aussi instruits. Il était capable de dire le nombre des astres qui se montrent au-dessus de notre horizon, et de désigner par leur nom tous ceux qui en ont un. De la terre il avait une connaissance géographique aussi minutieuse et aussi exacte que s il eût été institué par la divine Providence arpenteur et archiviste général de toute la sphère terrestre, y compris ses productions : minéraux, plantes, animaux. Il était si subtil en botanique, que, sans se contenter des distinctions d’espèces, il a fait de délicates et curieuses observations aussi utiles que délectables. Sa mémoire, quoiqu’elle n’ait pas égalé celle de Sénèque ou de Scaliger, était vaste et tenace au point qu’il n’était pas un livre, une fois qu’il l’avait lu, dont il ne se rappelât tous les passages et les traits remarquables. Sir Thomas entendait la plupart des langues européennes : à savoir, toutes celles qui sont dans la Bible, de Hutter dont il usait. Pour le latin et le grec, il les possédait critiquement. Des langues orientales, qui ne furent jamais natives dans cette partie du monde, il pensait que leur utilité ne compenserait jamais le temps et la peine de les apprendre. Pour autant, il avait en si grande révérence leur matrice, je veux dire l’hébreu, où Dieu a énoncé ses oracles, qu’il n’avait pas voulu l’ignorer complètement. Dans les poètes latins, il savait par cœur tout ce qui est fin et incisif. Il avait lu la plupart des historiens anciens et modernes,