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à ses fils, et que ses notes ont été brûlées ou perdues. Quoi qu’il en soit, nous pouvons être certains qu’il n’avait pas plus gaspillé ses années de voyage que ses années d’université. Dans tout ce qu’on connaît de lui, rien n’indique un homme chez qui l’activité morale ne s’est éveillée que tardivement, et qui a dû changer de voie en passant par le repentir. D’ailleurs il n’avait pas trente ans quand il composa sa Religio medici, où se révèle déjà un long passé d’observation, de pensée et d’érudition.

La Religio medici (le livre, bien qu’écrit en anglais, est ainsi intitulé) est une œuvre qui appartient à la littérature générale de l’Europe, car elle a été traduite en hollandais, en allemand, en latin, en italien aussi, dit-on, et en français. Je ne cite que pour mémoire cette dernière version que la Biographie universelle attribue à Nicholas Lefebre : c’est une copie de la copie hollandaise et un tissu de contre-sens délayés dans un style illisible. La traduction latine que l’on doit à John Merrywater, et qui est élégante au jugement des connaisseurs, parut en 1644 à Leyde, où une seconde édition vit le jour en 1650. L’année même de la publication, elle était reproduite à Paris, avec une nouvelle préface où l’auteur est présenté comme catholique de cœur et ad sectam anglicanam per vim malignam nativitatis aut fortunoe prœter voluntatem advectum. Le même texte latin fut encore imprimé trois fois à Strasbourg (1652, 1665 et 1677), avec un amas de commentaires par Levinus Nicolas Moltkenius, et j’en ai moi-même une autre édition, qui n’est pas mentionnée par M. Wilkin (Eleutheropoli, 1743, juxta exemplar lugdunense). Quant à la sensation que l’ouvrage produisit en Angleterre, elle est attestée par les quatorze réimpressions qui se succédèrent jusqu’en 1736, et par une multitude d’imitations qu’il fit surgir, telles que de Religione laici, Religio jurisconsulti, Medici Catholicon, Religio stoici, — clerici, — militis, — bibliopolœ, etc. Grâce à M. Wilkin, j’en pourrais citer bien d’autres encore.

« Il est arrivé ici d’Hollande, écrivait Guy Patin en octobre 1644, un petit livre nouveau intitulé Religio medici. C’est un petit livre tout gentil et curieux, mais fort délicat et tout mystique. L’auteur ne manque pas d’esprit ; vous y verrez d’étranges et ravissantes pensées. Il n’y a encore guère de livres de cette sorte ; s’il était permis aux savans d’écrire aussi librement, on nous apprendrait beaucoup de nouveautés. Il n’y eut jamais gazette qui vallût cela ; la subtilité de l’esprit humain se pourrait découvrir par cette voie. » Guy Patin revient encore trois fois sur l’ouvrage de ce mélancholiaue agréable, comme il l’appelle (16 avril 1645, — 26 juillet 1650, — 19 juin 1657).

Les accusations et les réfutations ne manquèrent pas non plus au