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qui animait tous les premiers pères de nos sciences, ceux qui ont ouvert la voie des progrès au nom desquels nous sommes peut-être trop disposés à les dédaigner.


I

Thomas Browne naquit à Londres le 19 octobre 1605. Il était fils d’un riche marchand issu d’une souche de gentilshommes, et dont la biographie se réduit à un seul trait, à la vérité fort significatif : on raconte de lui, comme du père d’Origène, que chaque soir il avait coutume de découvrir la poitrine de son fils au berceau et d’y déposer un baiser en priant le ciel que le Saint-Esprit en vînt faire sa demeure. Cela seul nous laisse deviner un intérieur domestique à la fois tendre et solennel. L’enfant toutefois ne grandit pas sous cette influence : il perdit de bonne heure son père, et sa jeunesse reçut plutôt les leçons de l’isolement. Sa mère s’étant peu après remariée, il resta confié aux soins d’un tuteur qui le plaça d’abord dans une école près de Winchester. De là il passa à l’université d’Oxford, où il fut reçu bachelier en 1626 et maître ès-arts en 1629. Puis, après avoir commencé d’exercer la médecine dans le comté d’Oxford, il leva assez brusquement sa tente pour parcourir l’Irlande en compagnie de son beau-père, sir Thomas Dutton, alors chargé d’en inspecter les châteaux et les forteresses. Il semble que cette excursion ait éveillé en lui le goût des voyages, car, de 1630 à 1633, nous savons qu’il visita la France et l’Italie, qu’il résida à Montpellier et à Padoue, sans doute pour y suivre des cours, et qu’avant de rentrer en Angleterre, il prit à Leyde son diplôme de docteur. Du reste, On n’a retrouvé dans ses papiers aucun journal de ses courses, ce qui a lieu d’étonner, quand on connaît sa curiosité omnivore et son habitude de mettre par écrit tout ce qui le frappait. Dans les lettres qu’il adressait plus tard à ses fils pendant leur tour d’Europe, il ne cesse pas de leur indiquer des problèmes d’érudition à résoudre sur les lieux, des livres à lire sur les contrées qu’ils traversent, des itinéraires à suivre pour rencontrer sur leurs routes des villes intéressantes ou des écoles célèbres. Tout en désirant qu’ils se ménagent, il les engage à faire un croquis des monumens, à étudier le gouvernement des cités et des états, à s’aboucher avec les savans et les autres notabilités ; il veut d’ailleurs qu’ils visitent les mines en exploitation, qu’ils observent les procédés industriels, et qu’ils n’oublient ni de prendre la recette des remèdes particuliers qu’on emploie dans chaque pays, ni de parcourir les marchés pour noter et dessiner au besoin les poissons et les espèces de gibier qui s’y vendent. Il est fort probable qu’il avait fait lui-même ce qu’il recommande