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avec notes et commentaires, a eu les honneurs d’une réimpression populaire assez récente (1852). Bien plus, Browne a été un favori autant qu’un objet de curiosité : sans redevenir précisément un écrivain influent, j’entends un de ceux dont les idées se font adopter, il a au moins agi assez vivement sur les imaginations, et pour tout le public qui s’occupe de lettres, il a certainement fourni sa quote part à la circulation intellectuelle de ces dernières années.

Jusqu’à un certain point, Browne en cela n’a fait que partager le sort de son époque entière. Dans toute l’Europe en général, le XVIIIe siècle avait à peu près renié la littérature de la renaissance et de la réforme. C’est seulement depuis 1800, — un peu plus tôt en Allemagne, — qu’il s’est produit à cet égard une révolution complète. En Angleterre, les contemporains de Shakspeare ont été les premiers l’objet d’une ovation nationale, et bientôt l’intérêt s’est étendu sur leurs héritiers immédiats, sur les écrivains encore inspirés, mais déjà prétentieux, du temps de Jacques Ier et de son successeur. En France, nous avons réhabilité la période correspondante des Valois et des deux premiers Bourbons. Un peu partout, comme on l’a remarqué à propos des Vies des Poètes anglais, par Johnson, la génération moderne a délaissé les froides célébrités qui avaient alors accaparé toutes les niches dans les cours de littérature et les recueils du Parnasse, et elle s’est choisi un nouveau panthéon parmi les vieux auteurs que les Johnson et les Laharpe ne jugeaient pas même dignes d’être mentionnés. Que cet amour pour la fin du XVIe siècle et pour le commencement du XVIIe tienne bien à une réaction qui nous a rapprochés de nos arrière-ancêtres en nous éloignant de nos prédécesseurs directs, qu’il soit bien l’effet et le signe d’une ressemblance frappante entre leur manière de sentir et la nôtre, il me semble que les écrits de Browne sont vraiment propres à nous le faire voir ; car, parmi les diverses contrées de l’Europe, il n’en est point, je crois, où les caractères des deux demi-siècles qui nous occupent se soient développés aussi franchement qu’en Angleterre, et tout ce que ces caractères ont de plus analogue à nos propres dispositions est éminemment en évidence chez le médecin de Norwich. Sir Thomas Browne représente surtout on ne peut mieux les dernières années de la grande époque, ces vingt ou trente années qui s’étendent depuis Bacon jusqu’à l’avènement de l’influence française et de la littérature méthodique, et que j’appellerais volontiers la période des cultures fleuries et des belles plantations, comme l’âge de Shakspeare était celle des puissantes végétations. C’est là un moment tout particulier où déjà les esprits tournent à la prose et au raisonnement, tout en conservant encore beaucoup d’imagination et de poésie. C’est une saison intermédiaire où la science