Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 14.djvu/65

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
61
LA POÉSIE GRECQUE DANS LES ÎLES-IONIENNES.

de la race grecque. Avant 1850, la langue et les usages helléniques étaient même complètement oubliés. Les réformes libérales qui furent à cette époque concédées par le gouvernement protecteur réveillèrent chez les Corfiotes les souvenirs du passé. La liberté de la presse, la langue grecque déclarée langue nationale, la liberté des discussions admise dans le parlement ionien, contribuèrent efficacement à ranimer à Corfou l’esprit hellénique. Aujourd’hui les Corfiotes tiennent à leur nationalité presque autant que les habitans des autres îles.

Paxo (l’ancienne Ericusa), dont la capitale est Cayo, est un satellite insignifiant[1] de Corfou. Les insulaires, peu nombreux, ne passent point pour intelligens. Ils n’ont ni commerce, ni industrie, et attendent tout leur bien-être de la récolte des oliviers. Cérigo (l’ancienne Cythère), qui a pour capitale Capsali, Cérigo, qui vit naître sur ses rives la blonde Aphrodite aux yeux d’azur, semble « séparée de l’univers » comme la Bretagne de Virgile[2]. Cerigotto est peut-être plus triste encore. En effet le commissaire Ward en a fait une prison pour ceux des Ioniens qui s’étaient rendus suspects aux représentans de sa majesté britannique.

Pour compléter cette énumération, il reste à parler de quelques îles ou îlots d’une importance secondaire : telles sont Merlera, Fano, Samotraki, qui forment au nord la limite de la république ; Anti-Paxo, au sud-est de Paxo ; Arcondi, Iotako, Kastus, Meganisi, Kalamo, à l’est de Théaki et de Santa-Maura. Sous la domination de Venise, des familles grecques, obligées par l’épée musulmane d’abandonner Chio, trouvèrent un asile à Meganisi. La sérénissime république partagea l’île en quarante portions, dont ces familles obtinrent la propriété. Lord Maitland fut beaucoup moins humain lorsque des enfans et des femmes, fuyant le cimeterre des Turcs qui ravageaient l’Acarnanie, se réfugièrent à Kalamo en 1822. L’impitoyable « commissaire » les força brutalement de quitter leur retraite et de retourner sur les côtes voisines, où les attendait une mort presque certaine. Kalamo est aride et stérile. Meganisi au contraire est riche en orge, en froment, en oliviers, et malheureusement aussi en contrebandiers. Au moyen âge, une industrie plus condamnable que la contrebande avait transformé en nids de pirates les nombreux îlots de ces mers. Lorsque les écrivains indigènes exploiteront les chroniques de cette époque turbulente, ils en tireront peut-être des récits aussi dramatiques que le Corsaire rouge et le Pilote de Fenimore Cooper. Aucune histoire n’est plus féconde en péripéties que celle

  1. Paxo n’a que trois mille neuf cent soixante-dix habitans.
  2. Ses dix mille habitans sont très pauvres.