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de ce camp, d’ailleurs bien défendu partout, n’était pas propre au déploiement et aux charges de la cavalerie. Aussi Lescun et ses hommes d’armes, auxquels résistèrent Francesco Sforza et Antonio de Leiva avec leurs Italiens et leurs Espagnols, et que pressèrent bientôt les lansquenets, accourus de ce côté après avoir repoussé les Suisses, furent contraints de battre en retraite. Ils rebroussèrent chemin et repassèrent le pont. Les deux principales attaques ayant échoué, celle de Lautrec ne réussit pas mieux. Prospero Colonna l’avait annulée d’avance en découvrant et en déjouant le stratagème qui devait la favoriser. Quant aux Vénitiens, ils ne firent pas même une démonstration et demeurèrent spectateurs immobiles de l’assaut donné au camp impérial[1].

Lautrec était désespéré. Il sentait qu’il n’avait plus d’armée s’il laissait partir les Suisses, et que le duché de Milan tout entier échappait à François Ier. Il redoubla d’efforts pour retenir les Suisses, afin d’empêcher les suites, sans cela désastreuses, de la défaite de la Biccoca. Il les supplia de recommencer le combat, en offrant de faire mettre pied à terre aux hommes d’armes qui seraient au premier rang et ouvriraient l’attaque[2] ; mais, rebutés par les obstacles de terrain qu’ils avaient rencontrés, découragés d’avoir été battus, humiliés de n’avoir pas mérité la solde des batailles gagnées, et animés d’un insurmontable désir de retourner chez eux, les Suisses refusèrent. Lautrec se vit contraint de se retirer de devant la Biccoca. Il le fit en bon ordre et sans être poursuivi. Le prudent Colonna ne voulut pas s’exposer à compromettre en rase campagne une victoire remportée derrière des retranchemens. Il s’attendait d’ailleurs à en recueillir autant de fruit que s’il eût anéanti une armée qui allait se dissoudre elle-même[3].

En effet, les Suisses partirent immédiatement. Lautrec les accompagna avec ses hommes d’armes jusqu’aux bords de l’Adda, qu’ils passèrent à Trezzo. Là ils se séparèrent de lui, et, par le pays de Bergame, ils regagnèrent leurs montagnes. Dans l’impossibilité où il se trouvait de faire face à l’ennemi, Lautrec essaya du moins de défendre contre lui les villes que les Français occupaient encore ; mais

  1. Voyez sur la bataille de la Biccoca : Gal. Capella, f. 1269-1270 ; — Guicciardim, lib. XIV ; — Du Bellay, ibid., p. 376 à 380 ; — Belcarius, Commentarii, f. 505-506 ; — Histoire de la Confédération Suisse de Jean de Muller, continuée par R. Gloutz-Blozheim et J. J. Hottinger, in-8o, t. X de Hottinger, traduit par L. Vulliemin, 1840, p. 58 à 63 ; — L. Ranke, Histoire d’Allemagne à l’époque de la réformation, t. II, liv. IV, où il s’est servi de l’Histoire des Frondsberg par Reisner et de la Chronique de Berne d’Anshelm.
  2. Du Bellay, ibid., p. 381.
  3. Il répondit à ceux qui le pressaient de poursuivre l’armée en retraite : « Partam jam victoriam fortunœ et helvetiam temeritatem nova temeritate abolere se nolle. » Belcarius, fol. 507.