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la douceur de ses sentimens, l’honnêteté de sa vie. Il accéda à la présentation. La lassitude du désaccord, l’effet de la surprise, l’entraînement de l’approbation, firent arriver rapidement à lui les vieux cardinaux à la suite des jeunes. Les cardinaux français eux-mêmes, croyant que c’était le moins mauvais choix pour le roi très chrétien[1], suivirent les cardinaux espagnols, qui le regardèrent comme le meilleur pour le roi catholique. En peu d’instans, l’heureux Adrien Florisse obtint vingt-six voix. Aussitôt on s’écria : Habemus papam[2], nous avons un pape ! Et tous les cardinaux, moins un seul, adhérèrent à cette nomination par accès.

Les cardinaux avaient nommé un barbare[3]. Malgré les tristes souvenirs de la translation du saint-siège à Avignon, qui avaient fait adopter pour maxime au sacré collège de ne jamais élire que des papes italiens, ils venaient de choisir un étranger qui pouvait de nouveau transférer au-delà des Alpes le souverain pontificat. C’était l’objection qu’on avait opposée au cardinal d’York et qu’on oublia pour le cardinal de Tortose. L’élection faite, les membres du conclave, qui mirent, dit Guicciardini, cette extravagance sur le compte du Saint-Esprit[4], en furent consternés. La colère du peuple de Rome éclata à la nouvelle qu’on lui avait donné un transalpin pour pape, et elle les remplit d’épouvante. Un immense cri de désapprobation s’éleva contre eux à leur sortie du conclave. — « Pourquoi, leur disait-on, n’avez-vous pas élu un de vous[5] ! » — Plus morts que vifs[6], ils allèrent s’enfermer dans leurs demeures, qu’ils n’osèrent pas quitter de quelque temps dans la crainte d’être maltraités, ou tout au moins insultés par le peuple[7], irrité d’un

  1. Le cardinal Trivulzio écrivait le 14 janvier à François Ier : « J’espère que de tous ceulx lesquels sont esté plus prochain d’estre pape cestuy cy quest esleu soit le meillieur pour vous. » Mss. Béthune, vol. 8487, fol. 32. — C’est ce qu’écrivait aussi le 9 janvier, à François Ier, Nicolas Raince, en lui disant que, le choix ne pouvant tomber que sur un impérial, le cardinal de Tortose était préférable « pour le bien et moins mal de vous, non-seulement pour ce que l’on dit qu’il soit de bonne vie, mais pour aultant que de six ne de huit mois il ne se peult trouver en lieu où il vous puisse empescher ni luy ni son disciple. » Mss. Béthune, vol. 8500, fol. 86, sqq.
  2. « Et incontinent fut dit habemus papam, ce que voyant les autres cardinaux et que déjà il estoit pape ils accédèrent. » Dépêche de Nicolas Raince. ibid., fol. 95.
  3. « Avevano eletto un pontefice barbaro e assente. » Guicc. lib. XIV.
  4. « Della quale stravaganza non potendo con ragione alcuna scusarsi transferivano la causa nello Spirito santo. » Guicc, lib. XIV.
  5. « E nel’ uscir di conclave si levarono contro a loro grandissime strida, dicendo : Perche non eleggeste uno di voi ? » Relazione di Gradenigo, etc., ibid., p. 74.
  6. « I cardinali rimasero morti di aver fatto uno che mai non videro. » Ibid.
  7. « Sire, vous ne sçauriez croire le malcontentement de toute cette cité… et vous promectz, sire, que les cardinaux n’osent aller parmy les rues, car en saillant du conclave grands et petits crioient et couroient après eulx, que c’estoit grand honte de le veoir, car tous tiennent que ceste court est perdue. » Dépêche du 10 janvier de Pins à François Ier, mss. Béthune, vol. 8500, fol. 91.