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les vertus chrétiennes parce qu’elles se rencontrent ailleurs que dans son étroite chapelle. Grâce à son orthodoxie aveugle, cet homme de bien commettra l’injustice et méconnaîtra les devoirs de la charité. Il existe un lien cependant, et ce lien, selon M. Kingsley, c’est l’amour, non pas l’amour mystique, qui à l’occasion, comme en témoigne l’histoire, n’exempte ni de la persécution ni du fanatisme, mais l’amour terrestre, l’amour de la créature pour la créature. M. Kingsley appelle à son aide les femmes comme auxiliaires dans la campagne qu’il a entreprise. Si Dieu n’a aucune puissance sur l’homme, elles au moins en ont une irrésistible. Elles qui ont jadis inspiré les âges chevaleresques et transformé, sous l’influence de la religion, les instincts barbares et meurtriers en mobiles d’héroïsme et de dévouement, que ne peuvent-elles pas encore ! Elles inspirent la tendresse au cœur énergique et brutal de l’homme : ne peuvent-elles lui inspirer le dévouement ? Elles dont les regards paisibles savent apaiser ses colères sauvages, ne peuvent-elles lui enseigner la soumission ? Elles laissent dormir leur influence, mais cette influence existe encore aussi entière qu’autrefois. Elles n’ont donc qu’à oser pour enfanter des prodiges d’héroïsme et d’abnégation, pour faire fondre la glace des préjugés et des préventions sociales ; il leur suffit de mettre leurs sourires à un plus haut prix. Le ministre Frank Headley apprendra la charité dans les regards de Valencia mieux que dans son rituel ; Tom Thurnall apprendra dans la patience et le dévouement angélique d’une belle maîtresse d’école la soumission à Dieu, que n’ont pu lui enseigner les plus dangereuses expériences, et Stangrave, le froid Américain du Nord, deviendra abolitioniste forcené pour l’amour d’une belle esclave émancipée qui exigera le dévouement à la cause de sa race opprimée. Tout cela est bien romanesque, direz-vous ? Non, pas dans la pensée de M. Kingsley. Il considère véritablement les femmes comme les anges ministres de Dieu sur la terre, et ne parle jamais d’elles qu’avec une estime et une courtoisie toutes chevaleresques. Ce n’est pas lui qui voudrait jamais souscrire à la décision de ce concile qui déclara impoliment que les femmes n’avaient pas d’âme.

Je n’ajouterai plus qu’un mot. Ainsi que tous les livres précédens de M. Kingsley, ce dernier roman est fort judicieux comme critique de l’état moral actuel des âmes ; mais le remède qu’il présente est impuissant et exclusif. Quelque exclusive que soit la civilisation anglaise, une foule d’idées prohibées s’y sont introduites, et il serait difficile de faire accepter aujourd’hui, même à l’Anglais le plus obstiné, l’église anglicane comme panacée universelle et remède souverain. En outre, M. Kingsley s’est trompé cette fois, je le crains bien, dans la méthode à employer pour atteindre le but qu’il poursuivait. Son dernier livre est un plaidoyer contre ce qu’on appelle en Angleterre