Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 14.djvu/603

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les offres de conciliation : or, dans les écrits de M. Kingsley, c’est la doctrine anglicane qui fait les avances et c’est la raison humaine qui les reçoit.

Les motifs sur lesquels est fondée la préférence que M. Kingsley donne à l’église anglicane sur toutes les autres sectes ou églises n’ont rien que de très noble et de très élevé ; mais, qu’il nous permette de le lui dire cependant, la nature de ces motifs est plutôt politique que religieuse. C’est comme Anglais beaucoup plus que comme homme qu’il défend de tout son pouvoir l’église établie ; l’anglicanisme est un choix de son expérience pratique plutôt que de son intelligence spéculative. L’histoire d’Angleterre a révélé à M. Kingsley l’importance d’une église nationale pour l’éducation populaire, la moralité générale, et surtout pour la préservation de l’esprit patriotique et de l’intégrité du caractère national. Il est convaincu que la religion, comme toutes les choses en ce monde, doit, pour avoir action sur l’homme, s’abaisser en quelque sorte jusqu’à lui, se limiter et se rendre saisissable dans des formes sensibles : c’est à ce prix seulement que la religion peut être populaire et nationale. Il est convaincu qu’une église nationale est essentielle pour que l’esprit chrétien et l’esprit patriotique se confondent et se prêtent mutuellement secours. Partout où cette église nationale n’existera pas, l’esprit chrétien sera distinct du patriotisme, et même en certains cas en opposition avec lui. Il pourra y avoir des hommes vertueux, excellens, des saints si l’on veut ; il n’y aura pas de citoyens, ou plutôt les citoyens seront distincts des chrétiens. M. Kingsley a donc une tendance marquée à repousser toutes les églises qui cherchent leur point d’appui plutôt dans la conscience universelle ou dans la conscience individuelle que dans la conscience nationale. Le calvinisme est essentiellement une religion individuelle, et qui n’a aucune force en dehors de la conscience privée : il laisse l’individu dans un isolement égoïste en le préoccupant exclusivement du soin de son salut. La doctrine romaine, pour parler comme M. Kingsley, arrive au même résultat par un chemin tout différent. De même que dans le calvinisme l’individu est isolé par la pensée unique du salut, dans l’église romaine il est isolé par une trop grande préoccupation de l’idée même de l’église universelle. Le rationalisme arrive au même résultat en faisant à l’idée d’humanité une part plus large qu’à l’idée de patrie. En dehors de l’église nationale, toutes les doctrines ont donc un double défaut : elles isolent l’individu ; et séparent la vie spirituelle de la vie pratique. L’église nationale seule ne sépare pas le citoyen du chrétien, et fait de la vie morale la cause de la vie pratique. C’est à développer cette doctrine ingénieuse que M. Kingsley s’est appliqué depuis quelques années déjà, en haine