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95 centimes ; qu’on la réduise même à 80 centimes ; enfin supposons l’économie en temps du voyage moyen de dix jours, chiffre considérablement au-dessous de la vérité, et doublons cette économie tenir compte des traversées d’aller et de retour : nous n’aurons ainsi pas moins de 32 millions de francs, gagnés par le seul effet pour des perfectionnemens dus aux travaux de Maury.

Des résultats qui peuvent se traduire par de tels chiffres n’ont besoin d’aucun commentaire. Pourtant l’entreprise qui les a produits n’en est encore, on peut le dire, qu’à ses débuts, et, bien que ne remontant effectivement pas à plus de dix années, déjà elle est parvenue à réunir le concours de toutes les nations maritimes du monde civilisé. On a vu par quel prodige de volonté Maury avait réussi au-delà de toutes les espérances, mais ce ne lui fut pas un moindre mérite que d’avoir compris combien l’opportunité viendrait en aide à son succès, et c’est ce qu’il importe de bien indiquer. S’il est en effet quelque chose de constant à toutes les époques, ce sont certes les tribulations proverbiales par lesquelles sont condamnés à passer les inventeurs. Qu’une idée quelconque finisse par conquérir victorieusement sa place dans le monde de l’intelligence et à doter l’humanité du bienfait de ses applications pratiques, chaque fois l’histoire de son laborieux enfantement nous présentera les mêmes phases presque invariablement identiques : indifférence de l’esprit public, négation des résultats, délais sans fin, importance contestée, expériences défigurées, il semble qu’on répète les phrases stéréotypées d’un formulaire, et toujours, au premier rang de ces obstacles sans nombre, se retrouve cette tendance naturelle à l’homme de s’attacher à ce qui est, tendance qui constitue le pouvoir à la fois si vague et si tenace de la routine. La remarquable exception à laquelle Maury dut, au moins en partie, d’être exempté de ces épreuves qui forment trop souvent le lot amer de l’inventeur mérite d’être hautement signalée, car l’on ne saurait donner de démonstration plus évidente de l’importance et de l’utilité de son entreprise.

Nous n’avons indiqué encore qu’une des faces de l’œuvre de Maury, celle qui s’adresse au public spécial des navigateurs. Il en est une autre, d’un caractère différent et d’un intérêt plus général, dans laquelle l’auteur américain se révèle avec toutes les qualités d’un savant de premier ordre unies aux inspirations philosophiques les plus élevées ; ces nouveaux résultats, non moins grandioses dans le domaine de l’intelligence que ceux qui viennent de nous occuper dans le domaine de l’industrie, seront l’objet d’une prochaine étude.

Ed. du Hailly.