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marcher impuni, elle réparerait le tort d’une excessive indulgence, elle en détournerait les conséquences, qui eussent pu retomber sur la tête d’Osman. Il ne fallait qu’un moment de courage et de résolution. Elle trouverait l’un et l’autre, mais quel moyen emploierait-elle ? Zobeïdeh chercha le moyen lui était déjà apparu avec une étrange lucidité pendant les quelques minutes qu’elle avait passées dans la chambre d’Ombrelle. Ce moyen, elle l’examina, le repoussa, y revint encore, et elle finit par se reprocher sa lâcheté, qui la faisait hésiter devant un acte aussi nécessaire que juste, et dont l’exécution présentait si peu d’obstacles.

Elle se lève tout à coup, fouille dans les cendres de son foyer, et y découvre des tisons encore embrasés ; moyennant de petites baguettes de bois résineux, elle allume la lampe qu’elle garde d’ordinaire dans sa chambre ; elle entr’ouvre avec précaution la porte de la cellule ; la voilà dans le couloir, qu’elle traverse d’un pas si léger qu’elle-même ne s’entend pas ; elle est devant la porte d’Ombrelle, qu’elle a laissée à dessein entr’ouverte. Elle écoute. Le plus profond silence règne partout. Zobeïdeh entre d’un pas furtif et en tenant la main devant la flamme de sa lampe. Bientôt ses yeux, accoutumés aux ténèbres de la chambre, aperçoivent Ombrelle étendue sur le divan. Elle est endormie, profondément endormie ; la fatigue a vaincu l’agitation, et elle dort de ce sommeil réparateur de la grande jeunesse, pendant lequel toute vie est complètement suspendue. Zobeïdeh avance lentement. Ombrelle est pâle comme une morte ; ses lèvres sont entr’ouvertes, ses larmes n’ont pas encore séché sur ses joues, sa respiration est irrégulière, saccadée, et on dirait qu’elle voit se reproduire en rêve les scènes terribles qu’elle vient de traverser. Zobeïdeh avance encore. Le petit poignard au manche d’or, ciselé et incrusté d’émeraudes, présent du bey, est toujours passé dans sa ceinture, qui le retient à peine. Zobeïdeh rassemble toutes ses forces et tout son courage. Elle ne se permettra plus de réfléchir ; n’a-t-elle pas réfléchi assez longtemps ? C’est le moment d’agir ; elle pose sa lampe à terre, et s’approche du divan ; elle se penche sur Ombrelle, tire doucement le poignard, qui brille aussitôt… Un moment, et il a disparu dans ce sein naguère si agité. Un soupir, une plainte étouffée, un faible mouvement, et tout est fini…

Zobeïdeh reprend sa lampe et se dirige vers la porte. Cependant derrière elle un bruit se fait entendre. Elle se retourne effrayée. Tout est tranquille. La boiserie a craqué sans doute, ou le vent s’est engouffré dans la vaste cheminée. Quoi qu’il en soit, il a suffi d’un mouvement d’effroi pour faire trembler la lampe dans les mains de Zobeïdeh, et l’huile s’est répandue sur le parquet. Elle veut essuyer la tache avec son mouchoir : la tache reste, mais qu’importe ? Elle