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seulement il lui en coûtait de renoncer au salutaire effet de l’exemple. Maléka, préparée à l’objection, ouvrit un avis. Pourquoi ne renverrait-on pas Ombrelle au bazar pour y être mise en vente aux enchères ? L’humiliation serait grande. Zobeïdeh objecta vivement que son amant l’achèterait ; mais le bey répliqua non moins vertement qu’en pareil cas il retirerait sa marchandise, et la pensée de jouer ce tour à l’amoureux européen acheva de le décider. Il déclara donc s’en tenir à ce dernier parti, ne plus vouloir s’occuper de cette désagréable affaire et il permit à ses femmes d’aller se coucher. Il ajouta pourtant une dernière recommandation à Maléka, : ce fut de ne rien dire ce soir-là à Ombrelle de sa généreuse résolution et de la laisser jusqu’au lendemain matin livrée encore à ses propres réflexions. Vingt-quatre heures d’inquiétude n’étaient pas assurément un châtiment trop sévère pour une aussi grande faute, et Maléka, qui ce soir-là eût fait de bon cœur le tour de la maison sur ses deux genoux pour témoigner de son adoration et de sa reconnaissance à son époux, promit de lui obéir lui prit la main, la baisa respectueusement, et la posa ensuite sur son cœur et sur son front, où elle la garda un moment, comme pour lui rendre un nouvel et tacite hommage de soumission et de vénération.

Si Osman, en congédiant ses épouses, n’adressa pas un mot de remerciement, de reproche ou de pardon à Zobeïdeh, ce fut sans doute par oubli. Zobeïdeh s’attendait pourtant à un adieu plus tendre, car elle hésita un moment à quitter la chambre, fit un pas vers lui et s’arrêta. Osman ne s’en aperçut pas sans doute, et Zobeïdeh, rejoignant à la hâte Maléka, monta avec elle l’escalier qui conduisait à leurs chambres. Maléka, qui se rendait à peu près compte des sentimens qui devaient se livrer un terrible combat dans le cœur de Zobeïdeh, leva les yeux sur elle, se proposant de la ramener à plus d’indulgence pour sa malheureuse rivale ; mais le, visage qui frappa son regard avait quelque chose de si farouche que le courage lui manqua. Elle se dit qu’une nuit de silence et de calme aurait un meilleur effet que ses exhortations, et elle se tut. Toutes deux, pressant, le pas, arrivèrent devant la porte de la chambre qui servait de prison à Ombrelle, Zobeïdeh avait relevé la tête et semblait se réveiller d’un songe pénible. Maléka alors, songeant que la vue d’Ombrelle ne pouvait en ce moment inspirer que de la pitié, dit de sa plus douce voix à Zobeïdeh : — Chère, sœur, puisque le bey m’a défendu de rassurer encore cette malheureuse fille, je n’ose entrer chez elle et m’exposer à entendre de nouveau ses supplications sans y répondre ; mais toi, qui n’as reçu d’elle aucune prière, entre un instant dans cette chambre ; vois si elle te semble assez apaisée pour passer la nuit sans de nouveaux accès de délire, et adresse-lui, si tu le juges bon, quelques mots de consolation.