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harem les plus vigilans. Ombrelle, avec la docilité des femmes orientales, feignit alors de partager sa confiance, et quand vint l’heure de la séparation, Oswald emporta la promesse d’une nouvelle entrevue.

En quittant Ombrelle, le confiant jeune homme rencontra sur son passage Zobeïdeh. Il appela à son aide tout son sang-froid pour jouer le singulier rôle qu’il s’était donné. Sa figure imberbe, à demi cachée par un voile, n’aurait nullement trahi son sexe à un observateur frivole ou indifférent ; mais Zobeïdeh avait pour toutes les personnes qui approchaient Ombrelle un regard chargé de haine et de soupçons. Ce regard ne demeura pas longtemps fixé sur la fausse brodeuse sans que la femme d’Osman eût tout compris. Oswald s’était arrêté cependant, et pour mieux donner le change ; il avait ouvert un paquet contenant quelques broderies, comme pour les étaler devant Zobeïdeh. Au même instant, Ombrelle avait paru sur le seuil de sa porte et une pâleur mortelle s’était répandue sur son visage quand elle avait vu Oswald en présence de Zobeïdeh. Elle s’avança vivement vers sa rivale, mais celle-ci tenait à laisser Ombrelle dans la plus complète sécurité. — Je regardais les broderies que vous n’avez pas choisies, lui dit-elle, et en même temps elle demanda le prix de quelques tissus à Oswald, qui crut faire merveille en cherchant la marque attachée aux objets en vente. C’était trahir l’origine européenne de ces marchandises, et cette circonstance n’échappa point à l’impassible Zobeïdeh, tandis qu’Ombrelle, pour se donner une contenance, discutait les prix que la brodeuse demandait à sa compagne dans un langage et avec un accent aussi peu oriental que possible. Ce fut Zobeïdeh qui mit la première un terme à ce pénible entretien en disant qu’elle remettait son choix à une prochaine occasion. Oswald, ainsi congédié, s’empressa de se retirer, tout triomphant de son succès et se promettant de conter l’aventure à une douzaine d’amis intimes dont il ne savait pas le nom, tandis qu’Ombrelle, rendue à une demi-sécurité, allait cacher son trouble loin des regards inquisiteurs de Zobeïdeh.

Zobeïdeh avait donc le secret d’une intrigue criminelle qui, grâce à sa dissimulation, ne pouvait manquer de se poursuivre dans l’enceinte même du harem en lui offrant l’occasion impatiemment désirée de sacrifier sa rivale. Une fois maîtresse de la situation, elle ne voulut rien négliger pour se ménager un complet triomphe, et elle procéda dans son œuvre avec la prudence particulière aux femmes de sa race. Elle s’assura d’abord qu’aucun passage secret n’existait dans la chambre d’Ombrelle ; Elle se demanda ensuite si celle-ci n’aurait pas embrassé la foi chrétienne et ne comptait pas, en cas de surprise, se placer sous la protection d’un ambassadeur franc ; mais Zobeïdeh fut bientôt certaine qu’Ombrelle n’avait pas