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qu’on lui sert soient bons ou mauvais, il s’en contente toujours. S’il n’en a d’aucune espèce, il passe à jeun des journées entières sans se plaindre. Quoi qu’on dise autour de lui, quoi qu’on fasse, il ne gronde ni sa femme ni ses enfans. Il se résigne à tout avec la même apathie. Pour le réveiller de cette léthargie, la voix de l’intérêt n’est pas assez forte, il faut aussi celle du plaisir. Or, parmi les occupations qui ont ce double attrait, on peut ranger la récolte du sucre. Les Indiens retirent ce produit d’une espèce d’érable qui est très commune autour des grands lacs. Pendant une vingtaine de jours, on croirait voir chez eux la jovialité de nos vendanges se réunir aux bouffonneries de notre carnaval. Tous prennent part à la récolte, et comme tous sont très friands de ce sucre, ils en mangent avec une profusion qui incommoderait fortement d’autres estomacs que les leurs.

On choisit l’époque où les érables devancent par leur précocité l’arrivée du printemps. Le froid empêche encore leurs feuilles de se développer, mais leur sève surabondante, grâce à la fécondité du sol, remplit déjà les racines à pleins canaux, gonfle les bourgeons, et soulève l’écorce à tel point qu’elle éclate souvent et se fend. Il suffit alors de faire des incisions aux troncs et aux grosses branches pour faire couler abondamment cette gomme précieuse. On la recueille d’abord dans des baquets de bois, et on la porte dans des vases de métal qui sont placés sur de grands feux. Toute la préparation consiste à faire bouillir ce suc et à le laisser se cristalliser de lui-même en se refroidissant. Une partie considérable est consommée sur place et sans délai ; celle-ci est versée toute bouillante sur la neige. À ce contact subit, le sucre écume et pétille, la neige se fond et s’évapore en fumée. En même temps les enfans, se prenant par les mains, entonnent des chansons bruyantes et forment à l’entour des rondes tumultueuses. Dès qu’ils voient les grumeaux se former et rouler épars sur la neige liquéfiée, ils rompent leurs rangs pour se précipiter sur cette proie. Ces régals se répètent depuis le matin jusqu’au soir. Les hommes et les femmes se mêlent à ces jeux bruyans, et les vieillards eux-mêmes retrouvent leurs forces et leur gaieté au spectacle de cette joyeuse abondance. Tout ce que cette fête offre à la fois de pénible et de lucratif est le partage des femmes. Elles coupent et fendent le bois pour entretenir les feux ; elles reçoivent la sève dans les baquets, elles vont la vider dans les chaudières. Ce sont elles encore qui la transvasent pour la faire refroidir et qui en remplissent des tonneaux d’inégales dimensions. De ces barils, dont le poids peut varier de dix à quinze kilogrammes, les uns sont réservés pour la provision des ménages, les autres sont destinés à être vendus à des marchands étrangers. On les livre à raison de 2 ou 3 centimes le kilogramme. Le prix, du reste, est rarement payé en espèces. Les Indiens préfèrent recevoir en échange des vêtemens, des outils, des liqueurs. Ce commerce est le principal revenu des tribus établies sur les bords du lac Michigan. Il n’est pas de famille, quelque insouciante qu’elle soit, qui ne vende une cinquantaine de barils de sucre ; les plus diligentes en expédient chacune plusieurs centaines. Pour occuper les loisirs que leur procurent les longs jours d’été, les Indiens ont imaginé divers jeux, dont quelques-uns méritent d’être décrits. Un de ceux qui les captivent le plus est fort compliqué, quoique le gain dépende