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pères, et de la traversée qu’ils durent faire sur une mer pleine de glaces flottantes avant d’arriver sur les rives des grands lacs. Ils célèbrent des sacrifices annuels en mémoire de cette délivrance et de la conservation de leur race. Les traditions des Chichimecs ne sont pas moins significatives. — Nos ancêtres, disent-ils, vivaient confinés dans d’obscures cavernes. Un jour ils aperçurent la lumière du soleil par une crevasse qui se produisit aux voûtes de ces antres ; ils grimpèrent jusqu’à cette ouverture en s’accrochant à des tiges rampantes. S’étant ainsi trouvés sur le bord d’une mer, ils s’embarquèrent, firent naufrage, et ils auraient péri au milieu des flots, si des faucons ne les avaient sauvés en les enlevant dans des sacs de cuir pour les porter sur un lointain rivage. Là, après avoir longtemps erré sur un sol détrempé, ils traversèrent de grands lacs, étant portés par un taureau d’une énorme grosseur. Enfin ils passèrent le Mississipi à l’aide de branches de vigne liées en faisceaux. Dans le cours de ces aventures, ils furent conduits par des chefs inspirés, dont l’un, qui se nommait Manco Capac, était fils du soleil, et dont un autre, appelé Quetzalcoatl, recevait les avis du ciel par l’entremise d’un oiseau blanc.

Le souvenir d’une émigration primitive se retrouve donc partout chez les tribus indiennes. On peut le reconnaître même dans ces paroles adressées par Montezuma à Fernand Cortez, qui lui vantait la puissance du roi d’Espagne : « Ne pensez pas, lui répondit-il, que je sois assez ignorant pour ne pas savoir que votre souverain descend de notre ancien prince Quetzalcoatl, qui, après avoir retiré son peuple du fond des sept cavernes, fonda l’empire du Mexique. Par une de ses prophéties, qui sont conservées précieusement dans nos archives, il nous assura qu’il allait conquérir de nouveaux royaumes vers les régions orientales, d’où il avait lui-même amené nos ancêtres, et qu’après une grande révolution d’années, ses descendans reviendraient chez nous pour amender nos lois et réformer notre gouvernement. »

Il nous reste enfin un témoignage plus précis : c’est une représentation graphique de l’ancienne émigration. Cette espèce de carte itinéraire fut découverte, il y a plus d’un siècle, par le chevalier Boturini. On sait que ce noble Milanais, s’éprit d’une ardente passion pour les antiquités américaines. Il s’aventura seul dans l’intérieur des tribus, apprit leurs dialectes, interrogea leurs traditions, scruta leurs monumens les plus secrets, et consuma vingt ans de sa vie dans cette laborieuse investigation. Il est à présumer que cette carte a été commencée et continuée par des témoins oculaires. Qu’on imagine une large écorce de bouleau sur laquelle sont empreintes, avec une coquille ou un caillou pointu, des figures grossières à la vérité, mais distinctes et très significatives. On voit d’abord un promontoire au milieu duquel est construit un temple entouré de six maisons. Une nacelle s’éloigne, indiquant ainsi que la colonie s’est embarquée à son départ et qu’elle a traversé un bras de mer ; puis se présente une montagne dont le sommet se recourbe en forme de corne, particularité qui désigne la montagne de la Corne, Colhuacan. Quelques branches d’arbre rapprochées à la hâte, comme pour dresser des huttes, marquent les tentatives des émigrans pour séjourner sur cette plage inhabitable, et l’on voit les frimas, fouettés contre eux par le vent du nord, qui les en chassent bien vite. Huit simulacres d’hommes,