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Au milieu de ce dédale de calculs, de précautions, de sollicitudes, qui eût suffi pour absorber une originalité moins vivace, M. Cousin s’est montré tout à coup sous un jour nouveau au public habitué à ne voir en lui qu’un penseur abstrait. M. Michelet a parlé quelque part de ces tardives amours des sages qui, vers le milieu de la vie, finissent par se concentrer en une seule image avec toutes les ardeurs de la jeune passion. Ce singulier retour, que j’ai toujours tenu pour une des évolutions intellectuelles les plus caractéristiques de notre siècle, a été souvent reproché à M. Cousin comme une infidélité. Les disciples qu’il avait entraînés sur ses pas au culte de la philosophie n’ont pu voir sans scandale leur maître passer à des amours qu’ils ne comprenaient pas. L’élève ne comprend jamais que la moitié du maître ; il y a toujours un côté qui lui échappe, et il semble que parfois M. Cousin prenne un malin plaisir à dérouter l’admiration de ses amis. En réalité, je pense que M. Cousin n’a jamais mieux trouvé sa voie que dans ces compositions d’un genre intermédiaire, où il a su déployer avec tant d’art les dons de finesse et de grâce que la nature lui a départis, et qui ne pouvaient se montrer avantageusement en métaphysique. Il n’est plus guère permis d’être philosophe tout d’une pièce. La philosophie est un côté de la vie, une façon de prendre les choses, non une étude exclusive. Si on la prend comme une spécialité, c’est la plus étroite et la moins féconde de toutes les spécialités.

Le goût du beau chez M. Cousin paraît s’être appliqué successivement à des sujets assez divers. Le goût du beau ne connaît pas l’intolérance : il implique un choix de préférence sur lequel il n’y a pas à discuter. De là cet air de paradoxe que revêt toujours l’esthétique : trouvant son objet, qui est le beau, dans les systèmes les plus divers, elle est essentiellement volage, tant qu’elle se réduit à la spéculation ; elle ne trouve ce qui la fixe que dans un acte d’élection libre comme la grâce et gratuite comme elle. Le choix de M. Cousin montre bien la perfection de son tact, la vivacité de son intuition historique, et la délicatesse incomparable qu’il porte dans les questions de goût. Je préfère comme lui la première moitié du XVIIe siècle à la seconde, et dans cette première moitié je trouve aux femmes un trait particulier de noblesse et de grand air. La France, à la veille de devenir, comme dit Voltaire, la moins poétique de toutes les nations polies, eut là un moment vraiment poétique et beau, qui a pour l’imagination beaucoup de charmes. Cette époque ne brille pas par le naturel, il est vrai ; mais aux yeux de M. Cousin ce ne doit pas être un bien grave défaut : en général, M. Cousin n’a guère le sentiment du primitif et du simple. Ce qui est seulement naïf et bon le touche peu, je crois. C’est surtout la grandeur qui le frappe et qui éveille chez lui le sentiment de l’admiration.